Une approche systémique de la prévention des risques considère tout l’environnement de l’accident étudié et cherche à déterminer quelles défenses techniques, humaines et organisationnelles vont permettre d’éviter cet évènement indésirable (et a posteriori, pourquoi et comment cela n’a pas été le cas) : l’analyse des défaillances selon le modèle du « fromage suisse » (ou des plaques trouées) de J. Reason permet d’illustrer cette gestion systémique des risques. La survenue d’un accident dans un système est le résultat d’un très grand nombre de combinaisons d’événements indésirables possibles qui se succèdent …
Une approche systémique de la prévention des risques considère tout l’environnement de l’accident étudié et cherche à déterminer quelles défenses techniques, humaines et organisationnelles vont permettre d’éviter cet évènement indésirable (et a posteriori, pourquoi et comment cela n’a pas été le cas) : l’analyse des défaillances selon le modèle du « fromage suisse » (ou des plaques trouées) de J. Reason permet d’illustrer cette gestion systémique des risques.
La survenue d’un accident dans un système est le résultat d’un très grand nombre de combinaisons d’événements indésirables possibles qui se succèdent : il s’agit de diminuer la probabilité d’occurrence de l’accident en multipliant et renforçant toutes les barrières techniques, humaines et organisationnelles (plaques de protection) et en minimisant le nombre et la taille des erreurs latentes du système (les trous dans les plaques de défense protectrices).
L’exemple pédagogique, bien actuel et facilement abordable, de la prévention de la transmission du virus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de la COVID-19, illustre ce modèle : l’accident est ici la contamination d’une personne. Il s’agit de prévenir et éliminer la contagion par un virus respiratoire, qui se transmet très facilement, au moyen d’une meilleure compréhension de la succession défensive de « plaques solides et pas trop trouées » érigées pour empêcher la propagation du SRAS-CoV-2. Parmi les moyens utilisés, une méthode d'influence des comportements, le « nudge » (coup de pouce) qui est une incitation comportementale déclenchant chez les individus un choix sécuritaire sans totalement les contraindre.
Le modèle du « fromage suisse » (ou des plaques trouées) de James Reason
« L’accident provient toujours d’une succession de défaillances du système… » (J.Reason) Le modèle du « fromage suisse » (ou des plaques trouées) offre un cadre simple pour représenter la gestion systémique des risques : il explique comment un enchaînement d’évènements indésirables et de défauts dans un système complexe, comme une usine chimique, une centrale électrique, une installation gazière, un avion, … puisse conduire à un accident si les mécanismes de défenses sont défaillants. Chaque défense (de nature technique, humaine, organisationnelle) est représentée par une tranche de fromage emmenthal (ou plaque trouée), ou chaque trou de taille et d’emplacement variables correspond à un défaut latent. Si la trajectoire d’un événement déclencheur fautif, erreur dite active ou patente, représentée par un faisceau lumineux, se trouve en ligne avec les trous dans les différentes plaques défensives, le faisceau traverse toutes les plaques de défense et l’accident se produit : le système entier subit une défaillance lorsque tous les trous sont alignés, ouvrant ainsi «une opportunité de trajectoire» à l'accident. Les plaques de protection réalisent une défense en profondeur, permettant de récupérer l’erreur active patente initiale. Ce que le modèle montre aussi, c’est que les petits défauts latents, même de peu d’importance en soi, sont susceptibles de conduire à un accident en laissant se développer les conditions rendant possible l’activation de défaillances actives, au travers de ces petits « trous » dans les diverses plaques de défense. Or, les petits défauts sont beaucoup plus nombreux que les gros défauts qui se détectent plus facilement et sont rapidement corrigés.
Pour compléter le modèle, il convient de prendre en compte son aspect dynamique : il faut imaginer que les « trous » se créent, se déplacent et se modifient en fonction du contexte variable de l’environnement, entrainant l’apparition de nouveaux « trous » dans les plaques de protection ou en les élargissant.
Le modèle du « fromage suisse » nous enseigne que, pour éviter que l’accident se produise, il suffit qu’un seul « trou de défaillance» situé sur l’une des plaques de protection ait été supprimé. Il faut remarquer qu’il peut s’agir d’un défaut mineur, « un petit trou » n’ayant jamais été détecté ou n’ayant jamais attiré l’attention, même lors d’un incident précédent (défaut d’analyse et de retour d’expérience) : chaque détail mérite la même vigilance, non par perfectionnisme mais par réalisme.
La loi humoristique de Murphy « Tout ce qui peut mal tourner va mal tourner » a un fondement de type statistique : au cours de plusieurs centaines de jours, s’il existe une façon d’enchainer des erreurs menant à l’accident, il existera statistiquement une probabilité non nulle que cela survienne : la sécurité alors s'améliore en minimisant le nombre de « trous » et/ou en réduisant leur taille dans chaque « plaque », et en augmentant le nombre de « plaques » (par exemple avec une plaque de plus dédiée à l’information), de manière à ce que la probabilité d’ « alignement des trous » devienne infime.
Application du modèle du « fromage suisse » à la prévention de la transmission du virus SARS-CoV-2
La réduction des risques suppose de définir les plaques de défense, les plus nombreuses possibles afin d’ offrir une meilleure chance de prévenir la transmission du virus qui provoque la COVID-19. Puis d’examiner les « trous » potentiels dans ces plaques de protection afin d’éviter qu’ils apparaissent ou de les boucher. S’ils devaient persister, la succession de plusieurs trous alignés dans chaque plaque permet au virus de passer et à la fin de pouvoir être inhalé pour contaminer une personne. L’analyse suivante est purement technique, et est destinée seulement à servir d’exemple concret de la méthode, sans jugement de valeur sur les mesures prises de prévention de la pandémie ni sur les critiques qui leur ont été adressées.
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1ère plaque : distanciation physique en milieu clos
- Trous, lorsque la promiscuité est obligée dans :
- Transport en commun (trains, autobus, avions, bateaux ...).
- Covoiturage.
- Cantines.
- Salles de classe, de réunion, de sport, de concert.
- Bureaux en open space.
- Ateliers ou autres lieux de travail confinés.
- Bars et restaurants.
- Lieux publics clos (commerces, cinémas, théâtres, salons, stades, cirques, night-clubs …). L’interdiction totale de certains lieux publics clos, ou limitation du temps à l'intérieur des locaux, ou baisse du nombre de participants à un évènement par une jauge imposée de présence, l’adoption du télétravail ou du téléenseignement, sont des actions qui participent à renforcer cette plaque en diminuant le nombre de trous et/ou leur taille. La nécessité de l’aération des locaux, de la ventilation, de la filtration de l'air; permet de boucher tout ou partie de ces trous pour lutter contre un virus transmis aussi par aérosol.
- Trous, lorsque la promiscuité est recherchée dans :
- Réunions festives.
- Rassemblements religieux, familiaux (messes, pèlerinages, processions, mariages, funérailles, …).
- Manifestations politiques ou syndicales.
Ici, ce sont les règlementations gouvernementales et l’action des services de police (amendes, dispersion…) qui permettent de boucher plus ou moins ces trous par anticipation ou répression.
- Trous, lorsque la promiscuité est obligée dans :
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2ème plaque : port d’un masque respiratoire
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Trous lors du port du masque :
- Non conforme à la norme.
- Mal porté (mal ajusté, sous le nez …).
- Usagé.
- Echangé avec autrui. Par exemple, une personne dans le métro (1ère plaque de défense franchie) risque fort de s’infecter par voie aérienne s’ il y a un « trou » dans la 2ème plaque, masque non ou mal porté par elle ou par un autre voyageur contaminé. D’autres « gestes barrières » sont du même type : lavage des mains avec du gel hydroalcoolique, pour lutter cette fois contre la contamination manuportée.
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Trous lors du port du masque :
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3ème plaque : Limitation des déplacements dans des lieux très fréquentés
- Trous lors des déplacements :
- Croiser longtemps et souvent des personnes malades.
- Rencontrer des personnes non civiques (pas de port du masque, toux ou éternument intempestifs, pas de respect de la distanciation …).
Ici, ce sont les grands nombres de petits « trous » qui augmentent les chances du virus de passer au travers de la plaque de défense.
- Trous lors des déplacements :
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4ème plaque : Identification des personnes malades et des cas contact et les isoler pour casser la chaine de contamination
- Trous lors du « tester , tracer, isoler »
- Tests imparfaits (faux négatifs, mauvais prélèvements …).
- Beaucoup de malades asymptomatiques ou paucisymptomatiques (qui ne réalisent pas qu’ils peuvent être contagieux).
- Traçage incomplet (refus de collaborer, impossibilité matérielle de contacter une multitude de cas, non chargement massif de l’application TousAntiCovid …).
- Isolement insuffisant, trop court, voire absent.
- Quarantaine des voyageurs étrangers des pays à haut risque sanitaire non décidée et/ou non respectée.
Cette plaque s’est révélée particulièrement trouée, avec même des brèches géantes : ce n’est pas forcément totalement rédhibitoire, car il s’agit de superposer plusieurs défenses même très imparfaites afin de maximiser les chances de prévenir une défaillance totale.
- Trous lors du « tester , tracer, isoler »
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5ème plaque : Mesures de confinement / couvre-feu
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Trous lors du confinement / couvre-feu
- Des exceptions sont indispensables pour la survie physique et mentale de la population, listées sur la fameuse attestation de sortie.
- Difficultés de contrôle du respect absolu de ces mesures drastiques attentatoires aux libertés, contestées par une partie des citoyens.
Cette plaque de défense, pourtant très efficace sur un plan sanitaire, illustre la contribution des défaillances humaines latentes à la rupture de la protection et que, contrairement au fromage suisse, les trous s'ouvrent, se ferment et se déplacent au cours du temps : les exceptions ont varié notablement (commerces, écoles fermées ou non, kilomètres de déplacement permis, … ) entre les différents épisodes de confinement et surtout l’acceptation des mesures a faibli au fur et mesure que la grande peur initiale s’est amoindrie avec le fatalisme, la lassitude et l’agacement croissants : au point que le troisième confinement est un peu dénaturé et que ses mesures laxistes (trous larges et nombreux !) sont qualifiées de « freinage ». L'attestation de déplacement dérogatoire, a priori fantaisiste puisqu’auto-remplie et auto-accordée et sans justificatifs dans plusieurs cas, est une méthode d'influence des comportements tirant parti de notre rationalité limitée en temps de crise : car, en situation de danger, l’importance des émotions ou des composantes émotionnelles dans la perception des risques devient prépondérante, par rapport à l’analyse rationnelle, en fait impossible pour chacun en termes de compétences, capacités cognitives et/ou de disposition de l'information nécessaire. L’attestation dérogatoire de déplacement dans le cadre du confinement est un moyen de solliciter un engagement du citoyen de respecter les barrières (= ne pas créer une multitude de petits trous dans cette 5ème plaque), et ceci répété à chaque sortie. L’attestation est un « nudge » (coup de pouce), une incitation comportementale à la sécurité, une coercition mentale légère, avec une amende assez faible et statistiquement rarement infligée. Ce principe du nudging appliqué à l’attestation consiste à inciter en douceur à changer de comportement, à persuader plus ou moins consciemment à l’aide d’un dispositif faiblement contraignant mais néanmoins volontairement un peu pénible, qui rappelle à chaque fois le message de prévention, pour encourager les comportements sécuritaires : freiner la volonté de sortir des gens sans les menacer d’enfermement forcé comme dans le régime totalitaire chinois ! Ce nudge consiste à faire en sorte qu'un biais cognitif « positif » déclenche chez les individus un choix sécuritaire sans les contraindre totalement, dans le but de limiter les sorties et le brassage social contagieux. Dans le troisième confinement régional, la nouvelle attestation très complexe à rédiger (rapidement abandonnée : 2 pages, 16 motifs !) n’était probablement pas qu’une dérive administrative, mais le résultat exagérément poussé du principe du « nudging ». L’adoption du vocable couvre-feu, qui a surpris par sa connotation guerrière sinistre, rappelle délibérément le danger à risquer sa vie à s’aventurer dans les rues après cette heure fatidique (en particulier pour ceux qui ont vu le film « La traversée de Paris ») et donc valide inconsciemment l’injonction de s’y conformer. Dans le même ordre d’idée, la présence de marquage au sol, bandes de couleur régulièrement espacées de 2 mètres, incitent les personnes dans les files d’attente à respecter les mesures de distanciation physique (nudges relatifs à 1ère plaque protectrice), de façon non contraignante mais sous le regard réprobateur des autres usagers en cas de laxisme ; car, l’intérêt du nudging, outre son faible cout de mise en œuvre et son acceptabilité éthique, est également de marginaliser la population des sceptiques (une grippette …), des récalcitrants (hostiles aux masques …), des cyniques (seuls les vieillards…), alors que beaucoup de monde a déjà adopté les nouveaux comportements salvateurs : avec ceux-ci devenus minoritaires, il devient légitime d’avoir une action de contrôle et de sanction (exemple : les soirées festives « sauvages »). Au final, le nudging contribue, dans le domaine sanitaire et plus généralement sécuritaire (prévention routière ou au travail), à former une norme sociale vertueuse et acceptée par une grande majorité de citoyens.
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Trous lors du confinement / couvre-feu
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6ème plaque : Mesures financières « quoi qu’il en coute »
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Trous : non-respect de l’interdiction temporaire de fermeture administrative, en recevant des clients ou en continuant leur activité pour certains acteurs économiques :
- Travailleurs mal ou pas indemnisés (travail indépendant, informel …).
- Commerçants craignant la perte de clientèle et la fermeture définitive de leur fonds de commerce.
- Travailleurs craignant la perte de motivation/compétence due au manque d’activité professionnelle (spectacles, sports …).
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Trous : non-respect de l’interdiction temporaire de fermeture administrative, en recevant des clients ou en continuant leur activité pour certains acteurs économiques :
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7ème plaque : Information / Communication
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Trous :
- Biais de perception : Biais de normalisation du danger (ce n’est pas si grave), Biais d’évidence (il n’y a qu’ à …), Biais de l’autruche (ignorer les problèmes) …
- Fake news : complot international, destin inexorable apocalyptique, vaccins avec grandes morbidité et létalité cachées etc., médicaments miracle non utilisés …
- Critiques acerbes incessantes et non constructives de l’opposition politique affaiblissant l’appropriation et la discipline collectives.
La désinformation agit comme une redoutable tarière creusant de multiples et gros trous dans chaque plaque de défense : la défiance induite et ressentie par la population vis-à-vis de l’autorité gouvernementale du fait de la désinformation ou de la propagande politicienne est vraiment nuisible à l’adhésion aux messages de prévention. Mais une mauvaise campagne gouvernementale de communication aussi ( exemple : la 2ème plaque des masques de protection abattue « en population générale » par le gouvernement, puis relevée « même à l’extérieur », avec des trous de crédibilité dorénavant !) ; de même les injonctions contradictoires, comme appeler fermement les Français à rester chez eux (5ème plaque du confinement), mais se déplacer pour aller voter malgré tout au premier tour, pour finalement sagement repousser le scrutin du second tour à des jours meilleurs !
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Trous :
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8ème plaque : Vaccination
- Trous lors de la vaccination
- Lenteur du processus, à répéter si nécessité de rappel (avec déperdition de volontariat).
- Forte partie de la population ne voulant pas se faire vacciner ou ne le pouvant pas (contre-indications).
- Vaccins non efficaces à 100%.
- Apparition de virus mutants contournant l’immunité vaccinale et diminuant la fiabilité de la protection.
Cette dernière 8ème plaque apporte une forte défense en visant la possibilité d’une immunité collective, mais elle possède aussi des « trous » ne permettant pas de lever toutes les autres barrières avant que le virus disparaisse ou mute en devenant bénin, ce qui n’est à la fois ni acquis, ni à court terme : les mesures très restrictives de confinement ou de limitations des déplacements de la 3ème et 5ème plaque pourront être grandement levées mais avec un « passeport ou certificat sanitaire » destinés à boucher les trous restant permettant au virus de circuler.
De même, certaines plaques de défense resteront probablement en partie actives un certain temps, comme les jauges de présence et le télétravail partiel (1ère plaque) et le port du masque dans les lieux publics clos et les transports (2ème plaque), les tests et le traçage (4ème plaque), quelques soutiens financiers pour les secteurs économiques sinistrés (6ème plaque), la vaccination obligatoire si taux d’immunisation trop faible (8ème plaque) ; il s’agira de ne pas ouvrir au virus des fenêtres d'opportunité de diffusion à conséquences exponentielles dans quelques-unes des plaques de défense restant un peu « trouées ». Paradoxalement, certains efforts de prévention subsistant pourront augmenter parfois légèrement le risque : c’est l’exemple du motard qui conduit à une vitesse excessive parce qu’il se sent protégé par son casque et sa combinaison, ici le masque ou la vaccination donnant l’illusion que l’on est totalement protégé et autorisant de graves comportements à risque, comme celui de rompre toute distanciation sociale de façon répétée et exagérée, en créant des « trous » de fausse confiance.
D’où la nécessité de maintenir les efforts d’information et de lutte contre la désinformation (exemples : « c’est totalement fini », « c’est pour le contrôle continu du peuple », « les vaccins sont très dangereux ») ; donc, il convient absolument de conserver intacte la 7ème plaque avec une communication régulière, flexible, agile, bien accessible pour répondre aux interrogations de la population et contrecarrer les « fake news », informations fallacieuses diffusées dans le but politique ou géostratégique de manipuler le public et qui ne manqueront pas d’être relayées massivement sur les réseaux sociaux et par certains médias.
- Trous lors de la vaccination
Pour aller plus loin :
- OFFICIEL-PREVENTION : FORMATION CONSEILS > FORMATION CONTINUE À LA SÉCURITÉ : LA SÉCURITÉ DANS LES SYSTÈMES COMPLEXES : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/formation-continue-a-la-securite/la-securite-au-travail-dans-les-systemes-complexes
- OFFICIEL-PREVENTION : FORMATION CONSEILS > CONSEILS > RATIONALITÉ LIMITÉE ET SÉCURITÉ : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/conseils/rationalite-limitee-et-securite-au-travail
Mars 2021
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