Comment travaillerons-nous en 2040 et quels impacts les évolutions à venir auront-elles sur la santé et la prévention ? Face aux grands bouleversements que subit le monde, l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) s’est livré à une analyse prospective sur le futur du travail à horizon 2040. Ce croisement d’enquêtes, d’entretiens avec des entreprises et des experts et d’ateliers de design fiction (s’appuyer sur des scénarii imaginaires pour explorer les futurs possibles) débouche sur un tableau du monde de travail de demain. En voici les grands traits.
La prégnance des nouvelles technologies dans les modes de production et de consommation des biens, et dans la vie quotidienne des populations a façonné le nouveau visage d'une société dans laquelle les échanges sont de plus en plus dématérialisés (automates, internet dans les banques, les services postaux, les assurances…). Cette évolution s'est accompagnée d'un développement de la sous-traitance à laquelle ont été imposées des politiques qualité de plus en plus normées. Elle a des effets sur les politiques de prévention des risques professionnels.
Par ailleurs, la transition écologique en cours implique une transformation des systèmes de production et des approches du travail. L’INRS a souhaité aborder ce sujet riche et complexe par le prisme d’une prospective sur les modalités de pilotage de l’activité travail à l’horizon 2040, et leurs conséquences en matière de santé et sécurité.
L’objectif de cette démarche prospective de l’INRS est d’envisager les évolutions possibles des modalités de travail d’ici 2040, d’imaginer les modalités de pilotage qui pourraient émerger de ce contexte, et d’identifier les conséquences possibles en matière de santé et sécurité au travail.
Le rapport final s’articule en trois composantes :
- Un panorama prospectif complet sur les grandes transformations du travail, issu de ressources documentaires et de nombreux entretiens avec des experts et des entrepreneurs.
- Un cahier de design fiction qui traduit ces tendances en présentant des situations de travail de 2040, à travers huit entreprises et dix personæ fictifs, dans des secteurs variés, de la néorecyclerie à l’abattoir mobile, en passant par la plate-forme dédiée aux travailleurs migrants.
- Un recensement des enjeux soulevés en termes de santé et sécurité par ces nouvelles organisations du travail.
Cette composante vise à identifier les principaux risques professionnels en 2040. Elle a aussi pour objet de discerner des opportunités et de proposer des stratégies de prévention.
Appui des technologies robotiques aux métiers les plus physiques, organisation en sociétés coopératives, facilitation de la multi-activité… peuvent apporter une plus grande satisfaction au travailleur et redonner du sens à son activité, estime cette analyse prospective.
Le développement du travail au sein des plateformes et l’essor des outils d’intelligence artificielle ne sont cependant pas dénués de nombreux risques : isolement des travailleurs, contrôle automatisé de leur productivité, difficulté d’accès à leurs droits, stress lié à leur évaluation ou à la densification du travail…
Un rapport au travail de plus en plus individuel
Parmi les mutations organisationnelles en découlent, l’INRS observe un rapport au travail de plus en plus individuel au détriment du collectif.
Les systèmes d’évaluation individuelle, la diversification des statuts de travailleur, la personnalisation de la gestion des ressources humaines, le télétravail, la fragmentation des trajectoires pro… autant d’ingrédients qui font que l’individu continue de prendre une place de plus en plus grande au détriment du collectif de travail.
Plus que jamais, l’équilibre vie pro/vie perso a une grande influence dans les choix de carrière des jeunes générations. « On est moins comme les générations d’avant, témoigne une étudiante interrogée dans le cadre de l’enquête. On accorde beaucoup d’importance à l’équilibre de vie, à nos choix, et on se colle moins à une seule carrière. On bouge tous les 3-4 ans et ça nous fait du bien. On veut travailler, mais se respecter aussi, vivre maintenant et pas attendre notre retraite. »
Face à ce délitement du collectif, il devient de plus en plus difficile pour les employeurs de créer une culture de prévention efficace.
Un télétravail toujours très présent
Pérennisé après avoir été généralisé dans l’urgence pendant la crise sanitaire, le télétravail régulier a toujours la cote auprès des travailleurs de l’Hexagone. Leur rythme idéal : deux à trois jours de télétravail par semaine. Pour la plupart, pas question de faire la croix sur cet avantage.
Un boom du travail indépendant
Avides de liberté, les Français se tournent de plus en plus vers le statut d’indépendant. Bien que cet engouement soit freiné par un manque de protection sociale et des revenus irréguliers liés à ce statut. Les chercheurs redoutent que la coactivité entre travailleurs de statuts différents ne génèrent des niveaux de « professionnalité » et de connaissance des risques très variable.
Dans ce contexte, on pourrait voir émerger une hybridation des statuts d’indépendants et de salariés, c’est-à-dire un dispositif qui pourrait permettre d’exercer son activité d’auto-entrepreneur tout en bénéficiant d’une meilleure couverture sociale, dans l’esprit du contrat de « workers » mis en place chez Uber UK.
Du numérique à tous les étages
L’IA, les robots et les logiciels ont pris une place encore plus importante dans le quotidien des travailleurs. Si ces outils permettent de faciliter le travail et de le rendre moins pénible, ils peuvent avoir des effets délétères s’ils sont utilisés à mauvais escient (réduction et l’autonomie des salariés et renforcement de leur contrôle, substitution au manager…) et si les risques induits par ces nouvelles technologies (opacité de l’information, discriminations, biais…) ne sont pas pris en compte par les entreprises.
Les progrès de l’IA ont permis de transférer les tâches répétitives et physiques aux machines. Et les travailleurs, y compris les plus qualifiés, sont moins attendus sur leurs compétences métier et davantage valorisés pour leurs soft skills. « De la même façon que les entreprises s’attachent à développer leur ‘’marque employeur’’, les situations de travail à venir pourraient ainsi contraindre de plus en plus les travailleurs à soigner leur image et à développer leur ‘’marque travailleur’’ », notent les chercheurs.
Le rôle des préventeurs va évoluer
Si quelques opportunités de prévention ont pu être identifiées, plusieurs tendances potentiellement délétères ont émergé, parmi lesquelles une flexibilisation accrue du travail qui pourrait isoler les travailleurs, le remplacement du management intermédiaire par un management algorithmique, la multiplication des situations de co-activité en raison notamment d’un recours accru à la sous-traitance et au travail temporaire…
Dans les nouvelles organisations du travail à venir, les acteurs de la prévention vont devoir adapter leurs pratiques, souligne le document. Les préventeurs seront amenés à faire évoluer leurs méthodes d’intervention pour chercher à faire intégrer les enjeux de santé et sécurité au travail aux orientations stratégiques des entreprises. Les modalités de leurs interventions pourraient être de plus en plus tournées vers l’accompagnement, d’une part, des transformations technico-organisationnelles des entreprises et, d’autre part, vers l’instauration d’un dialogue social et professionnel au sein des organisations où ils interviennent.
Face à des effectifs hétérogènes, le travail de prospective souligne également que les préventeurs devront savoir exploiter les données collectées sur les lieux de travail et auprès des travailleurs à des fins de prévention collective. Ces évolutions impliquent une multidisciplinarité des profils de préventeurs qui, au-delà de leur expertise technique (en chimie, ergonomie, acoustique…), devront disposer de compétences sur les technologies et leurs implications sur l’organisation du travail, mais également de connaissances sur la gestion, l’économie ou la sociologie des organisations.
Des objectifs RSE de plus en plus ambitieux
Aux objectifs financiers s’ajoutent des enjeux de performance extra-financière, notamment en matière de RSE. Les entreprises doivent les intégrer totalement à leur stratégie et les répercutent sur les objectifs fixés aux collaborateurs.
Le développement d’organisations du temps de travail atypiques
À l’image de la semaine de quatre jours ou des journées de 12h de travail, les entreprises optent pour de nouvelles organisations du temps de travail, pour attirer et fidéliser les talents. Si ces formules présentent des bénéfices évidents pour l’équilibre pro/perso, elles ouvrent aussi la voie à l’essor de la pluriactivité. Ce qui contribue, à la fois, à allonger la durée effective du travail et à en intensifier le rythme. Les auteurs de la synthèse alertent sur cette densification du travail qui pourrait avoir des effets néfastes sur la santé des travailleurs.
Si ces évolutions sont plausibles, l’INRS met toutefois en garde : « La prospective n’est pas une prédiction de l’avenir. Elle n’est pas non plus une prévision qui serait le prolongement des tendances passées. La prospective prend en compte les tendances et les discontinuités pour décrire des futurs possibles et proposer une aide à la prise de décision. »
En savoir plus
Téléchargez le rapport : Le Travail en 2040. Modalités de pilotage, enjeux de santé et sécurité au travail, Paris : INRS, novembre 2023, 136 p. (version PDF).
Publié le 17 février 2024
Sources : INRS, L’assurance Maladie, Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail)
Partagez et diffusez ce dossier
Laissez un commentaire
Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.