Les comportements physiques violents ou menaçants dans le milieu de travail marquent une recrudescence, du fait des employés eux-mêmes (violence interne) et surtout de personnes extérieures, comme ceux des clients (violence externe) : la violence liée à une agression physique à ou une menace significatives (incivilité majeure, coup et blessure, acte sexuel, vandalisme) concernerait jusqu’à 20 % des employés et 25% des employées...
Les comportements physiques violents ou menaçants dans le milieu de travail marquent une recrudescence, du fait des employés eux-mêmes (violence interne) et surtout de personnes extérieures, comme ceux des clients (violence externe) : la violence liée à une agression physique à ou une menace significatives (incivilité majeure, coup et blessure, acte sexuel, vandalisme) concernerait jusqu’à 20 % des employés et 25% des employées, particulièrement dans les secteurs des prestataires de services.
Les agressions physiques au travail proviennent en majorité de situations de relation avec le public, usagers, patients ou clients (ce qui représente plus de la moitié des emplois) et ce type de violence au travail constitue un risque important dans un nombre croissant de professions. Les agressions récentes et fréquentes sur les conducteurs de bus, les enseignants, les infirmières, les bijoutiers, les vigiles, les assistantes sociales, les vendeurs, les journalistes … ont alimentées largement les faits divers des différents médias pour bien illustrer la problématique de la prévention tout autant que celle de la répression des actes de violence physique au travail.
La violence physique, réelle ou crainte, a des répercussions majeures sur la santé des salariés et sur le fonctionnement de l’entreprise. Les actes de violence entraînent des arrêts de travail pour les coups et blessures, et des traumatismes psychologiques pérennes lors d’agressions fortes ou répétées. Ils doivent être considérés comme des accidents du travail et nécessitent un accompagnement médico-psychologique de la victime dans les cas graves. Mais ces agressions peuvent aussi s’avérer traumatisantes pour les collaborateurs témoins ou potentiellement directement concernés.
La violence physique au travail ne doit pas considérer seulement les déterminants propres à la personne auteur de cette violence (supposés troubles psychologiques ou psychiatriques,…) ni que ces actes relèvent d’une fatalité propre au métier : il convient d’analyser systématiquement toutes les causes des agressions de manière à en limiter l’impact ultérieur grâce à cette démarche.
Les menaces de violence physique et les actes d’agression physique en situation de travail doivent donc faire l’objet de mesures préventives afin d’agir sur les causes de la violence et pour minimiser les risques de passage à l’acte : il faut non seulement une intervention rapide et efficace en cas de survenue de violences, mais aussi une politique claire de prévention et un véritable projet comportant sensibilisation et formation du personnel, conception et sécurisation des lieux de travail et un processus de prise en charge des victimes et gestion de plaintes et de suivi.
Caractéristiques de la violence au travail
· La violence au travail peut prendre différentes formes : physique et psychologique (ou morale).
- La violence physique
Elle comporte les comportements menaçants (gestes du poing et autres gestes grossiers, destruction des outils de travail, jets d’objets, postures agressives), les graves excès verbaux (injures et insultes personnelles, hurlements), les agressions physiques (crachats, coups portés de la main, du poing ou du pied, poussées, bousculades, blessures avec arme blanche ou à feu), les agressions sexuelles (approches corporelles inappropriées, gestes à caractère sexuel ou contacts corporels intimes, caresses, étreintes, baisers sans consentement, viol ou tentative de viol). L'acte violent de destruction ou de dégradation dirigé non sur des employés mais sur des biens matériels professionnels personnels peut être rangé également parmi les agressions physiques, les salariés confrontés à ces actes de vandalisme pouvant se sentir directement attaqués dans leur travail et leur identité professionnelle.
- La violence psychologique
Ce sont tous les types de harcèlements, moral ou sexuel, sans ou avec très peu de manifestations physiques (abus d’autorité, langage condescendant, cyberharcèlement, chantage …) qui ne font pas l’objet de ce dossier.
- Selon la provenance des manifestations de violence physique en milieu de travail, il est possible de distinguer la violence interne et externe au travail.
- La violence interne se manifeste entre les membres d’une même organisation (entre collègues, entre un supérieur hiérarchique et un subordonné) : elle se manifeste entre les membres du personnel provenant de tous les niveaux hiérarchiques d’une même organisation, y compris par le personnel d’encadrement ou à l’encontre de ceux-ci (brutalités et séquestration lors de graves conflits sociaux).
Certaines entreprises sont plus exposées aux conditions qui favorisent l’éclosion de tensions interpersonnelles et de violence, car les contraintes physiques ou psychologiques (bruit, intensité de la tâche, cadence de production, lourdeur de la charge, type de management …) y sont beaucoup plus nombreuses, mais toutes les organisations sont à risque.
- La violence externe provient, quant à elle, de personnes sans lien d’emploi avec l’organisation : elle émane de personnes extérieures à la sphère professionnelle et aux collectifs de travail, par exemple la clientèle (ex. : citoyens, usagers, fournisseurs) ou des membres de la famille d’employés : les conditions psychologiques (travail émotionnellement exigeant avec le public, situation de tension avec la clientèle) sont propices à l’apparition de ce type de violence. Elle peut s’exprimer entre des travailleurs et toute autre personne présente dans le milieu de travail sans lien d’emploi avec l’entreprise comme un client, un patient, un élève ou un fournisseur, ou des manifestants (actes de vandalisme).
Les vols de marchandises ou autres prédations associées à des produits de forte valeur marchande (cambriolages, braquages …), ou les refus de paiement ou de contrôle impliquent généralement l’usage de graves violences ou de menaces physiques.
- Le lieu de survenance de la violence est varié :
La violence peut survenir sur le lieu de travail, dans les circonstances ou à l’occasion du travail : en effet, la violence en milieu de travail ne se limitent pas aux incidents qui surviennent dans un milieu de travail typique. Ces incidents peuvent survenir dans le cadre de fonctions hors du milieu de travail (salon, conférence, foire commerciale), lors d'événements sociaux à des fins d'affaires, chez les clients ou à l'extérieur mais dans un contexte de travail. Il faut également prendre en compte les déplacements pour le travail, par exemple, au domicile d’un client, d’un patient, ou les conditions particulières rendent beaucoup plus vulnérable le travailleur isolé à la violence et à la malveillance.
Facteurs de la violence physique au travail
Plusieurs facteurs professionnels augmentent les risques d’agressions physiques en milieu de travail.
- Travailleurs en contact direct avec le public
La situation des violences faites aux collaborateurs au service des clients ou des usagers des services publics relatée constamment par les médias témoigne de l’ampleur du phénomène : tout contact d’un employé avec le public implique un risque de violence, mais un certain nombre de facteurs ou de situations contribuent à favoriser les agressions.
Par exemple,
- L’augmentation de la violence du fait des patients et de leurs familles dans les services d’urgence des établissements de santé est stimulée par un sentiment de frustration et d'insatisfaction vis-à-vis de la rapidité de prise en charge, pour des soins considérés comme urgents et de l’exigence d’y avoir droit en priorité.
- Les relations des soignants avec les patients peuvent être difficiles avec des personnes méfiantes, autoritaires, agressives ou bien désorientées. Des relations très conflictuelles peuvent parfois survenir avec certaines familles ou avec des proches du patient pouvant entraîner de la violence physique. L’agression violente (coups, projections d’objets, morsures, griffures, cris, menaces injurieuses..) se rencontre fréquemment dans les services d’urgence et en milieu psychiatrique notamment, ou dans les maisons de retraite avec les personnes atteintes de démence sénile. Ces risques sont aggravés par le travail de nuit ou isolé dans le cas d’un exercice de la profession à domicile.
- Des parents peuvent être violents ou le devenir dans certaines situations (évaluations de leurs enfants, punitions...), particulièrement dans l’Education Nationale qui focalise (comme d’autres services publics) toute l’insatisfaction et les frustrations sociales dont l’Etat et la société sont rendus responsables par certains citoyens.
- La violence externe constitue aussi un risque important et croissant pour les conducteurs d'autobus et les chauffeurs de taxi : dans les services de transport des personnes, les refus de paiement, les rappels à la civilité et à l'ordre… sont des moments de forts risques d’agression physique des chauffeurs.
- Les services sociaux, bien que dévolus à l'aide, n'échappent pas à la tendance lourde des comportements violents et des agressions des usagers. Ces mécanismes de violence proviennent d'un mélange de motivations de territorialité et de stigmatisation : intrusion dans son ménage, ressenti de tutelle, impression d'être jugé. Ce risque de violence est encore beaucoup plus marqué pour les assistantes sociales qui effectuent des déplacements dans les domiciles des familles précarisées pour informer, donner des conseils ... Cette mission, souvent interprétée comme un contrôle et s'effectuant en situation de travail isolé, cumule les facteurs professionnels qui augmentent le risque de violence.
- Les services de puériculture et de la petite enfance, les assistantes maternelles, ou les puéricultrices des PMI, n’échappent pas à cette tendance lourde des comportements sociaux actuels, avec une dimension relationnelle conflictuelle de plus en plus largement rencontrée avec les agressions des parents au sujet de l’hygiène, de l’alimentation de l’enfant, des avis de négligence ou maltraitance notamment.
- Des clients peuvent être violents ou le devenir dans certaines situations, particulièrement des manques réels ou imaginaires de qualité de service (délais de livraison non tenu, matériel défectueux, prix non-conforme, informations aux clients peu claires, incomplètes, ambiguës, erronées ...), des promesses commerciales excessives (réparation express, service "Zéro défaut", disponible 24h sur 24, 7j sur 7...) qui multiplient les clients non satisfaits qui expriment leur colère et fournissent des raisons à des personnes dont les facteurs individuels psychologiques (maladie mentale ou abus d'alcool ou de drogues) ou sociaux (chômage, situation de précarité) rendent violemment agressifs.
- Certains postes de travail sont plus exposés que d’autres, comme ceux qui sont souvent confrontés à des individus offensants, prédateurs, ou sous l'emprise de l’alcool ou de drogues, qui peuvent insulter ou frapper : surveillance dans les grandes surfaces commerciales ou dans les lieux de grand passage (stations de métro, gares, stades …), ou de nuit dans les milieux festifs (concerts, discothèques). Également, dans les situations de violences de prédation (cambriolages, braquages …) associées à des produits de forte valeur marchande (bijouteries, banques …).
- La sécurité dans un environnement hostile est menacée par la violence personnellement adressée aux journalistes, secouristes, ambulanciers, … avec des agressions physiques causées par des personnes présentes sur les lieux (hooligans, manifestants, « casseurs », témoins interviewés …).
- Le contexte et la nature du travail
Le travail isolé, la présence d’argent, l’autorité conférée au salarié, la
proximité et promiscuité sont des facteurs prédisposant aux situations
d’agressions physiques au travail :
- la manutention d'argent comptant, d'objets de valeur, de médicaments ou
d’alcool (caissiers, agences bancaires ou postales, pharmaciens, serveurs
dans les bars …).
- les inspections, contrôles ou les applications des règlements
(fonctionnaires des impôts, de la police ou de la justice, douaniers,
inspecteurs du travail, contrôleurs des transports en commun, gardiens de
parc…).
- la prestation de services, soins, conseils ou formation (services
après-vente, soins médicaux, ambulanciers, enseignement…).
- le travail isolé (médecins, infirmières et travailleurs sociaux à
domicile, chauffeurs de taxi, démarcheurs, réparateurs et livreurs à
domicile, gestionnaires de station-service,…).
- le travail en période de conflit social et de grève (revendications
salariales, licenciements, restructurations, mobilités forcées).
- Le travail isolé lorsque le travailleur effectue seul des travaux ou une
tache en étant hors de portée de vue ou de voix pendant un certain temps,
et ainsi, lorsqu’il ne dispose pas de possibilité de recours en cas
d’aléas, dont l’agression physique. Les postes de travail concernés sont
très nombreux et variés : personnels d'entretien, de livraison, de
dépannage ou de soins à domicile, représentants, petits commerçants,
travailleurs agricoles et forestiers, transporteurs routiers, gardiens… et
10% des salariés seraient concernés au moins de temps en temps.
Le risque de violence peut augmenter selon l'emplacement du lieu de
travail, par exemple :
- proche de quartiers où le risque de violence est élevé.
- dans un endroit éloigné de tout autre immeuble ou structure.
- dans des zones peu fréquentées (aires d'entreposage, locaux techniques
…).
- dans des lieux avec grande proximité du client sans barrière physique
entre le client et le travailleur.
- Le type de management
- La culture organisationnelle de l’entreprise peut encourager la violence au travail en normalisant, minimisant, invisibilisant les actes de violence, dont les agressions sexuelles : les travailleurs et les cadres ne rapportent pas les incidents de violence (« pas de vagues ») et rendent de ce fait la prévention difficile. Le secteur de l’éducation, celui de la santé et de l’hôtellerie sont les plus concernés par cette banalisation de la violence.
- Une distinction agresseur / agressé discutée, des agresseurs jugés également victimes d’une structure organisationnelle maltraitante, permet de relativiser voire nier la violence des comportements adoptés ou vécus.
- L’inaction de l’entreprise dans les deux cas précédents engendre un sentiment de non reconnaissance délétère chez les victimes et ces situations de violence risquent de perdurer, de s’amplifier et de miner la santé psychique et/ou physique des salariés agressés.
- Les réactions de résistance violente à l'égard de changement organisationnel accéléré et répétitif (souvent initié par de nouveaux dirigeants voulant affirmer leur pouvoir) s'expliquent par le fait que le changement est générateur d'anxiété pour les individus dans la mesure où il est synonyme de rupture, de remise en cause ; il contribue à la perte des points de repère antérieurs (spatiaux, temporels, comportementaux, relationnels) ; il favorise les interrogations sur soi, son devenir, sa qualification… Il s’ensuit un climat social de l'entreprise dégradé généralement propice aux oppositions à quelque changement que ce soit : les salariés risquent de tomber dans des comportements tels que la rébellion sous forme de grève ou autre manifestation de colère violente envers l’encadrement.
- Les salariés de la sous-traitance interne et les intérimaires sont plus exposés aux risques de violence au travail : en effet, la précarité et l’instabilité de cette main d’œuvre augmentent leur vulnérabilité et obère leur capacité de réaction ; or, le recours à la sous-traitance interne s’est accru considérablement depuis quelques décennies au point que, sur certains sites industriels, le nombre d’intervenants d’entreprises extérieures avoisine celui des salariés de l’entreprise utilisatrice elle-même ! La précarité pousse à valoriser le fait d’avoir un emploi, quitte à en minimiser les risques, à ne pas revendiquer ses droits, à accepter la sous-déclaration des actes de violence. L’instabilité des postes occupés compromet la connaissance exacte des risques encourus et n’incite pas à la formation pour y faire face. L’enchaînement des différents chantiers et des missions induit un éparpillement des savoirs individuels de prudence.
Les conséquences des agressions physiques au travail
L’exposition à la violence externe produit des effets délétères et multiples sur les conditions de travail et la santé au travail : non seulement la violence a un impact sur la santé des travailleurs concernés, mais elle a aussi des conséquences majeures sur l’organisation : absentéisme, turnover, perte de productivité, dégradation du climat social et de l’image de marque de l’entreprise.
Ces agressions peuvent en effet s’avérer très traumatisants également pour les collaborateurs : lors d’une confrontation à un grave événement traumatique, la crise qui en résulte affecte l’entreprise dans son ensemble et peut engendrer des désordres organisationnels, psychologiques et sociaux nuisant à une rapide et efficace remise en état de marche normale de l’exploitation.
L’agression n’est pas un accident du travail pas comme les autres : les violences physiques d'origine interne ou externe à l'entreprise peuvent avoir à la fois des répercussions sur la santé physique et psychique de la victime, ceci quelle que soit la gravité de l'atteinte physique. En effet, si les violentes agressions physiques sont bien reconnues, prises en compte et traitées, en revanche, les faibles atteintes répétitives par exemple ne le sont pas toujours par toutes les entreprises et la prise en charge du syndrome post-traumatique au titre de la maladie professionnelle est soumise à des conditions restrictives. Or, ces manifestations peuvent être à la longue plus graves pour les employés que certaines fortes agressions physiques, et elles peuvent provoquer de profondes altérations psychologiques. De plus, les témoins d’une agression étant parfois également traumatisés, une agression peut avoir des répercussions psychologiques sur les autres salariés de l’entreprise, surtout sur les femmes qui ressentent plus la violence de la part des usagers que les hommes.
- Atteintes physiques
- hématomes, griffures, morsures avec trace unique ou traces multiples,
- plaies nécessitant une suture simple ou plaies graves nécessitant une intervention chirurgicale,
- fractures des membres ou des côtes,
- traumatisme crânien,
- tentative de viol ou viol,
- blessures ayant entraîné un risque vital ou la mort de la victime, ce qui est très exceptionnel.
- Atteintes psychologiques
La gravité des répercussions psychologiques dépend des circonstances de l'agression, de l'état personnel et de l'environnement de la victime au moment de l'agression. Les conséquences psychiques d’un acte de violence sur la victime peuvent être immédiates (sidération ou au contraire agitation) ou à plus ou moins long terme, les victimes d’agression développant un stress post-traumatique chronique.
En effet, si le choc psychologique est important, l’état de stress peut persister plusieurs semaines ou plusieurs mois après l’agression. Les troubles engendrés peuvent conduire à la perte de confiance en soi, à des symptômes d’anxiété, des symptômes dépressifs pouvant mener à une dépendance vis à vis de l’alcool ou de tranquillisants ou au suicide.
Les symptômes correspondent à ceux du stress excessif avec de nombreuses conséquences psychosomatiques et troubles du comportement :
- Troubles gastro-intestinaux (maux de ventre, douleurs et ulcères d’estomac), Troubles cardiovasculaires (hypertension artérielle, palpitations cardiaques, ...), Céphalées, migraines.
- Fatigue et irritabilité chroniques, Troubles du sommeil, Bouffées de chaleur et hypersudation, Crises d’angoisse, Dysfonctionnement hormonal et sexuel, Dépression majeure
- Réactions auto et hétéro agressives, Troubles des conduites alimentaires (obésité), Consommation accrue de médicaments, notamment anxiolytiques, Consommation accrue d’alcool, de tabac et autres substances psychotropes, Actions suicidaires.
Par ailleurs, il est très important de prendre en considération la réalité d'un sentiment d'agression, même si la personne a tendance à minimiser ce sentiment ou à l'exagérer : certaines victimes d’agressions sévères et présentant des symptômes manifestes de choc psychologique peuvent dénier toute gravité de l’agression ; au contraire, des personnes très sensibles peuvent développer de forts sentiments d’ infériorité et d’échec personnel si elles sont confrontées continuellement à des situations conflictuelles bénignes (« petites » violences des élèves dans les établissements d’enseignement par exemple) qui remettent en cause leur statut professionnel.
Les mesures de prévention des agressions physiques au travail
La violence s’exerçant contre les salariés doit être traitée comme une question de sécurité et santé au travail et non seulement comme une question de sécurité générale. Au-delà du drame humain, les agressions entraînent une dégradation des conditions de travail et la détérioration des relations dans l’entreprise. Leurs répercussions professionnelles se situent à plusieurs niveaux : investissement au travail, relation avec le public et relation avec l’encadrement et les collègues. Facteur de démobilisation importante du personnel pouvant se traduire par une hausse de l’absentéisme, un accroissement des départs volontaires, le climat d’insécurité qu’elles provoquent a également des incidences en terme d’image et d’attractivité de certains métiers .Les agressions peuvent entraîner par ailleurs une dégradation du climat social de l’entreprise dont les manifestations les plus visibles sont les mouvements sociaux prenant fréquemment la forme de cessation de travail en réaction à la survenance d’une agression particulièrement grave.
Des mesures préventives existent et permettent de pallier en partie toutes ces conséquences néfastes, pour agir sur les déterminants de l’agression, pour apprendre aux salariés à gérer les situations de conflit, et enfin pour limiter les effets des agressions sur les victimes.
Elles se classent en plusieurs catégories : sensibilisation et formation du personnel, organisation du travail, conception et sécurisation des lieux de travail, prise en charge de la victime, rôles du médecin du travail et de la hiérarchie.
Une procédure d’intervention doit être définie, éprouvée et diffusée afin que les intervenants agissent rapidement lors d’un événement de violence : les victimes doivent être prises en charge rapidement. Les victimes, les témoins et les autres travailleurs affectés par la situation doivent recourir à un service d’aide psychologique dans les cas graves.
- L’évaluation préalable des risques d’agressions
En premier lieu, il faut collecter toutes les informations pertinentes, notamment prendre connaissance des antécédents de violence sur ce lieu de travail ou des lieux de travail similaires. Ensuite, procéder à une analyser des informations recueillies et identifier les actions permettant de réduire les facteurs de risque.
La plus importante partie de tout programme de prévention est l'engagement de la direction : cet engagement écrit doit être exprimé dans le Document Unique d’ Evaluation des Risques Professionnels (DUERP ou Document Unique de Sécurité) qui permet de recenser, lister et hiérarchiser tous les risques potentiels au sein d'un établissement.
L'élaboration d'un Document Unique d'Evaluation des Risques Professionnels favorise la mise en place d'une politique de prévention des risques professionnels au sein de l'établissement. Sa finalité essentielle consiste en effet à impulser une démarche globale de prévention qui repose sur le principe de participation d’un groupe de personnes au sein de l'établissement (DRH, CSSCT …) . Leurs compétences diversifiées et complémentaires permettent de mieux identifier les risques professionnels et apportent une aide au dirigeant pour procéder à l'évaluation, à la hiérarchisation et à la mise en place d'actions de prévention dans l'établissement, dans le but de réduire la fréquence et la gravité des accidents du travail, dans le cas présent ceux résultant des agressions physiques.
Le DUERP permet de détailler les actions, comme par exemple : préciser les conséquences pour quiconque profère des menaces ou commet des actes de violence, la procédure de déclaration de tout incident, y compris celle des témoins, de résolution ou d'enquête relative aux incidents ou aux plaintes, décrire les services de soutien aux victimes de violence physique ...
- La sensibilisation et la formation du personnel
- Des actions de sensibilisation avec le déploiement de moyens tels que affiches, conférences, causeries, vidéos, etc.
En rassemblant périodiquement des petits groupes d'opérateurs sur le terrain, les « causeries sécurité » sont des lieux d'échanges concrets et efficaces de communication interne permettant d’impliquer les salariés dans la démarche sécurité dans un cadre non conflictuel, puisque préventif et participatif. Créer des espaces de dialogue pour favoriser la compréhension est un des meilleurs moyens de développer la culture de sécurité : la « causerie sécurité » est alors une technique d’animation utilisée pour amener un groupe d’opérateurs à travailler sur des cas concrets de violence au travail et pour identifier les bonnes pratiques, pour permettre à chacun des membres du groupe (notamment les nouveaux embauchés) d’être sensibilisé personnellement à sa sécurité, de prendre conscience, exemples à l’appui, des mesures de prévention adéquates, avec des supports vidéo multimédia qui incitent bien les collaborateurs à participer.
De plus, l’identification des situations à risque peut se faire en collaboration avec les travailleurs, ils sont les plus aptes à décrire les éléments vécus : la « causerie sécurité » permet aussi de révéler et surveiller les « signaux faibles » révélant des faiblesses pouvant avoir de graves conséquences ultérieurement : les opérateurs directement concernés sur le terrain sont ainsi parmi les acteurs du recueil d’informations de la démarche de retour d’expérience.
- La formation du personnel sur des sujets tels que la gestion des conflits, la gestion du stress, la communication interpersonnelle, etc
Des techniques de dialogue et la communication contribue à désamorcer les risques de violence.
Les entreprises doivent travailler à préparer et former leurs salariés confrontés souvent à des risques de violence externe pour qu'ils soient capables de gérer des relations conflictuelles potentiellement violentes. Assez souvent, hors les troubles psychopathologiques manifestes ou les états d’ébriété, si on a détecté le risque suffisamment tôt et si on influence par son comportement ou ses paroles l’agresseur potentiel, on peut-on éviter l'agression en obtenant son départ ou un compromis (qui peut être obtenu par le recours au bon moment au responsable hiérarchique).
La formation à la gestion des conflits et du stress destinées au personnel exposé (techniques de « coping », afin d'obtenir un meilleur contrôle émotionnel en situation d'agression) et la formation à la détection précoce des agresseurs potentiels (pour mieux désamorcer l'escalade de la violence) sont dispensés par des cabinets de conseil spécialisés : ces formations spécifiques au coping permettent d’apprendre à maitriser différentes stratégies individuelles ou interindividuelles d’ajustement pour moduler l’émotion et diminuer l’impact d’un événement stressant.
Cette formation à la gestion des conflits et du stress afin d'obtenir un meilleur contrôle émotionnel est dispensée par des cabinets de conseil spécialisés.
Apprendre aux salariés à gérer les situations de conflit est nécessaire pour acquérir les qualités comportementales qui permettent bien souvent de désamorcer un conflit :
Fondamentalement, les stratégies de coping modulent l’émotion induite par un stresseur de deux façons : soit elles visent à résoudre le problème, soit à éviter le problème. Dans le premier cas, il s’agit d’un coping actif pour une situation jugée contrôlable, dans le second cas il s’agit d’un coping émotionnel pour une situation jugée incontrôlable.
La stratégie centrée sur le problème vise à modifier concrètement l’environnement stressant par un contrôle individuel de la situation par confrontation directe (attitudes d’apaisement, d’autorité : attitude calme, courtoise mais ferme ...) ou par un contrôle social (recherche d'un appui extérieur, hiérarchie, collègues…).
La stratégie centrée sur l’émotion vise à modifier la perception de l’événement stressant soit par prise de distance ou la maîtrise de soi : les mécanismes de défense sont alors l’exclusion des émotions associées pour éviter des conflits et des menaces pénibles par refoulement, déni, minimisation, détournement d’attention, fuite, distanciation ; il s’agit d’un désengagement comportemental et mental ou d'attitudes visant à discipliner ou éviter l'émotion.
Chacune de ces stratégies conduit à apporter aux conséquences initiales de l’événement stressant, une réévaluation de l’émotion en nature et intensité : en fonction du succès ou de l’échec de la stratégie de coping, il y a réduction ou accroissement du stress. Pour un même stresseur, il n’y a pas de stratégie systématiquement à privilégier : par exemple, lors de l’agression verbale d’un client, une stratégie de confrontation peut aboutir à exacerber la volonté de domination de sa part, une stratégie d’évitement peut encourager l’abus de faiblesse. De même la recherche d’un soutien social peut s’avérer totalement contre-productif si celui-ci vient à manquer ou être inapproprié : les collègues de travail et les supérieurs hiérarchiques, eux-mêmes stressés par l’événement dont ils sont le témoin, peuvent adopter une stratégie d’évitement en ce qui les concerne.
- L’organisation du travail
Une organisation du travail mal gérée accroît l’agressivité des clients. Il existe par exemple des situations commerciales malsaines à modifier, qui favorisent l’émergence et le développement de la violence des clients :
- laissent des employés isolés face au public (aires de réception, de vente et de service à la clientèle à des endroits où les autres employés ne peuvent voir ce qui se passe ou à des horaires ou personne d’autre n’est sur place). Le travail au minimum en duo dans les situations à risques est fortement préconisée.
- entrainent des défauts de qualité fréquents en multipliant les clients non satisfaits : délais non tenus, erreurs dans la livraison des produits commandés, erreurs de facturation, manque de personnel aux guichets générant de longues files d’attente, contractuels précaires non qualifiés pour remplacer du personnel...
- délivrent des informations aux clients, verbalement ou par écrit, peu claires, incomplètes, ambigües, erronées ou contradictoires en provenance de différents services.
- font certaines promesses commerciales excessives (réparation express, service "Zéro défaut", disponible 24h sur 24, 7j sur 7...) qui peuvent mettre les travailleurs en porte-à-faux vis-à-vis des clients et les obliger à assumer seuls les mécontentements dont ils ne sont pas responsables.
- ne laissent aucune marge de manœuvre pour négocier un dédommagement, une ristourne, un avoir, une reprise sans frais…
- La conception des lieux de travail concerne l'aménagement, la disposition, l'emploi d'affiches, le verrouillage ou les obstacles physiques, l'éclairage et la surveillance électronique.
Il n'existe pas de « solution type » de prévention ; les caractéristiques particulières de chaque environnement de travail doivent être prises en considération pour la conception et l’aménagement des locaux en fonction du risque d’agression.
- contrôle des accès (dont ceux sécurisés aux zones réservées au personnel y compris installations sanitaires) : mise en place de sas d'entrée, installation d'écrans protecteurs ;
- mise en place d'équipements ou de dispositifs de protection collective : boutons d’aide, systèmes de vidéo- ou de radio-surveillance, dispositifs d'alarme et d'alerte, vitrages renforcés, détecteurs de métaux, mobiliers fixes, aires de travail délimitées et aires de refuge, guichets cloisonnés ;
- caisse et coffre automatiques ;
- bonnes conditions matérielles et sécuritaires de l'accueil : salle d’attente confortable, hôtesse prévenante, signalétique explicite, comptoirs d’accueil pour empêcher un client de le traverser ;
- éclairage adéquat, suffisant et à l’épreuve du vandalisme à l’extérieur.
- pour les transports en commun, l'implantation des nouveaux systèmes d'aide à la gestion et à l'exploitation (SAE) qui repose sur le principe d'une liaison permanente entre les véhicules et les contrôleurs avec le centre de régulation, l'établissement de caméras sur les lignes sensibles, la séparation du conducteur et des passagers par un écran, la pose de miroirs et caméra vidéo à l'intérieur du bus, l'équipement des autobus d'un radiotéléphone avec pédale d'urgence.... sont des moyens de lutte contre les agressions.
- Le travail isolé à l’extérieur
Le travail isolé peut être dangereux dans des contextes de violence externe. Le travail isolé contribue à favoriser les agressions (souvent pas de témoin et /ou de possible recours à autrui), d’autant plus que les secteurs professionnels qui augmentent le risque de violence externe sont très souvent ceux des travailleurs isolés, surtout pour les femmes qui ressentent plus les effets de la violence que les hommes, et qui y sont plus exposées de par leur vulnérabilité accrue (dont aux comportements sexuels inappropriés), et leur appartenance à des métiers à domicile très féminisés (infirmières, aides-soignantes, femmes de ménage).
- La prévention primaire va chercher à dresser la liste des postes ou des situations ou le travailleur est isolé et à identifier les dangers qui peuvent survenir, de façon à éliminer ces risques : recueil des informations pertinentes sur le client et sur le lieu avant la visite
- La prévention secondaire met en œuvre, quand le risque subsiste, les dispositions visant à détecter au plus tôt la survenue d’un incident ou accident et intervenir rapidement : surveillance directe ou indirecte par des dispositifs de télécommande (DATI) ou de télésurveillance ou établissement de rondes ou disposition d'un suppléant à proximité immédiate ou en liaison avec le titulaire. La mise à disposition des travailleurs d’un DATI (Dispositif d’Alarme pour Travailleurs Isolés) qui comporte un émetteur et un récepteur, permet la détection de l’état physique de l’employé et sa localisation.
- Pour les employés en déplacement, il convient qu‘une personne de l’entreprise soit informée notamment sur le lieu de l‘intervention, le mode de transport, l‘heure de retour prévue, qu’il y ait des protocoles de communication interne et des procédures d’appels téléphoniques pour les situations d’urgence.
- Prise en charge des victimes
L'entreprise confrontée à des risques fréquents de violence externe doit prévoir une procédure d'accompagnement et de prise en charge (psychologique, juridique) des victimes, afin de limiter les conséquences psychologiques de l'agression.
- « Débriefing », ou entretien individuel d'écoute, conduit tout de suite
après l'agression pour faire revivre l'événement dans tous ses détails et
dans tout ce qu'il a généré au niveau mental (émotions, pensées, sentiments
variés et forts)
- Assistance des victimes lors des interrogatoires de la police.
- Suivi par des psychologues ou psychiatres, en relation avec des médecins
du travail formés à ce genre d'intervention.
- Rôle du médecin du travail
Le médecin du travail est l'un des acteurs de la prévention de la violence au travail ; Outre son rôle d'information et de sensibilisation des travailleurs ou de l'employeur confrontés à ce risque, il peut participer à l'élaboration de formations adaptées et d'une politique de sécurité, au niveau de l'entreprise ainsi qu'au niveau des postes de travail concernés. Il peut aider à mettre en place l'accompagnement et le suivi psychologique des victimes et être amené à pratiquer le « débriefing » individuel proposé à la victime immédiatement après l'agression.
Lorsqu'il y a eu un véritable traumatisme psychique, imposant un reclassement professionnel, le médecin du travail a à reconnaître le caractère de l'inaptitude, temporaire ou définitive.
Le médecin de santé au travail peut aider l'entreprise à élaborer et mettre à jour le Document Unique d'évaluation des risques professionnels : en effet, l'entreprise doit au préalable évaluer les risques encourus par les salariés exposés, notamment en précisant l'organisation générale de l'entreprise et en étudiant les postes concernés, la disposition des locaux, les horaires et les procédures de travail, afin d'identifier les principaux facteurs de risque d'agression.
- Rôle de la hiérarchie
Il y a un stresseur initial, par exemple l’agression d’un patient sur une infirmière, mais aussi des stresseurs secondaires éventuels, comme le manque de soutien social de la part de sa hiérarchie …
La hiérarchie doit rassurer la victime et démontrer une grande capacité d’écoute : il est fondamental de rétablir un sentiment d’appartenance à l’équipe, car la victime va se sentir brutalement exclue de son contexte normal de travail. Une déclaration d’accident du travail est nécessaire, même en l’absence de blessure physique. La déclaration en accident de travail, systématique même sans arrêt, favorise la reconnaissance du choc émotionnel subi, permet d’assurer la prise en charge et donc la gestion de soins médicaux et psychologiques.
Dans les cas graves d’agression physique au travail :
Dès le début, la mise en place d’une cellule de crise regroupant le DRH, le médecin et l’assistante sociale du travail, éventuellement un psychologue extérieur (coaching de crise), des membres du CHSCT, les managers de proximité, apporte un soutien multifonctionnel à même de restaurer la capacité de dialogue et de coordination d’actions dans l’environnement personnel et de travail des individus traumatisés. Cette cellule de crise devra être capable de lancer et de développer des actions simultanées, en se répartissant les tâches à accomplir en urgence. La cellule de crise doit rendre compte périodiquement du suivi de ces actions tant à la DG qu’aux représentants du personnel.
Une prise en compte précoce des traumatisés permet de limiter les conséquences du traumatisme en assurant sur le terrain un premier soutien émotionnel et psychologique dans l'immédiat (defusing psychologique).
Puis, un debriefing psychologique individuel et/ou de groupe regroupe des interventions visant à réduire la prévalence des troubles émotionnels (permettre d’exprimer les émotions puis amener à accomplir, par la réflexion et le soutien, une démarche de compréhension). Dans le debriefing collectif, il convient d’essayer de recentrer les émotions sur le contexte du travail, ce qui fait sens pour le groupe et représente un moyen de rompre le sentiment d’isolement et d’évacuer, avec écoute et soutien compétent, les fortes émotions collectives avec liberté de parole.
Une communication adaptée , tant en interne qu'en externe, est un enjeu fort pour bien gérer la crise pour ne pas provoquer en plus de vives réactions en raison de propos ou d’écrits mal maitrisés (déni, minoration ou exagération maladroites, compassion insuffisante ou surjouée, fuite devant les responsabilités, débat technique et juridique compliqué masquant la dimension humaine tragique…).
Prendre acte de la gravité de ce qui vient de se passer, sans banaliser ni exagérer le drame, établir une description sobre des circonstances de survenance, garantir une analyse approfondie pour en tirer les enseignements, véhiculer un sentiment crédible de soutien et de reconnaissance émanant de la direction, figurent parmi les principaux éléments d’une communication réussie de crise en entreprise.
Ensuite, une méthode d’analyse a posteriori de l’agression doit être faite ultérieurement, pour en obtenir une description objective, reconstituer le processus accidentel, en identifiant tous les facteurs et leurs relations ayant concouru à sa survenance, de façon à proposer des mesures de prévention pour qu’il ne se reproduise pas. L'analyse d'une agression repose sur un travail de groupe, pour ouvrir le dialogue entre toutes les personnes concernées (victimes, témoins, encadrement, responsables HSE, représentants du personnel) et dépassionner le débat pour rechercher les causes objectives et profondes et trouver des solutions communes et partagées à chacune de ces causes.
Pour aller plus loin :
- Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail : Prévention du harcèlement et de la violence sur le lieu de travail (2002, 112 pages)
- CARSAT : Recommandation T16 Prévention du risque d’agression des salariés en contact avec le public et T89 Guide de bonnes pratiques pour la mise en œuvre de la recommandation T16 (2015, 32 pages)
Juin 2022
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