Les atteintes à la santé mentale au travail représentent une problématique de plus en plus préoccupante dans un monde du travail ou les fonctions mentales sont de plus en plus sollicitées dans un contexte économique largement tertiarisé. On est passé progressivement d’une suprématie de la notion de contrainte physique à celle de la notion de contrainte morale induite par une organisation administrative hiérarchisée et bureaucratisée.
Les atteintes à la santé mentale au travail (stress managérial, charges mentales excessives, harcèlements, agressions physiques ou verbales sur le lieu de travail … ) représentent une problématique de plus en plus préoccupante dans un monde du travail ou les fonctions mentales sont de plus en plus sollicitées dans un contexte économique largement tertiarisé : par exemple, les 3 B-OUT (Burn, Bore, Brown -OUT) sont des phénomènes en forte progression et leurs répercussions sur la santé (en particulier dépressions nerveuses, atteintes somatiques et cardio-vasculaires, addictions) témoignent des pathologies nouvelles qui touchent aujourd'hui de plus en plus les salariés. On est passé progressivement d’une suprématie de la notion de contrainte physique à celle de la notion de contrainte morale induite par une organisation administrative hiérarchisée et bureaucratisée.
Certaines méthodes de management utilisées aujourd'hui provoquent des risques psychosociaux en augmentation, qui nuisent à la fois à la santé des travailleurs et à l’efficacité de l’entreprise. Dans les grandes structures, les systèmes organisationnels se complexifient tout en demandant une grande réactivité et peuvent ainsi aisément devenir pathogènes.
Ces risques pour la santé mentale au travail peuvent avoir plusieurs origines, que l’on rencontre souvent dans les situations de travail de bureau, et sont favorisés par la promiscuité prolongée dans un espace clos et les travers de relations hiérarchiques abusives :
- stress managérial (organisation, contrôle et rythme de travail),
- stress lié à tension émotionnelle de la relation hiérarchique,
- stress causé par la violence verbale des tiers (clients, fournisseurs, patients, élèves…),
- stress du harcèlement moral et/ou sexuel,
- stress de surcharge mentale causée par le travail permanent sur écran et/ou au téléphone.
- Etc.
En cas de surcharge mentale prolongée, le travailleur conserve son équilibre psychique dans un environnement stressant avec une stratégie individuelle de défense de répression psychique, conduites addictives et somatisations.
Les signes de souffrance mentale qui en résultent sont fréquents (problèmes gastro-intestinaux, atteintes cardio-vasculaires, irritabilité et fatigue chronique, altération du sommeil, démotivation, tentatives de suicide) et doivent alerter la hiérarchie et le médecin du travail avant que des troubles anxio-dépressifs sérieux et des symptômes d’épuisement professionnel (« burn-out ») ne s’installent. De fait, la santé psychologique au travail est une problématique qui devrait préoccuper de plus en plus les entreprises, car une organisation dont les employés souffrent de troubles psychologiques, souffre aussi inévitablement au niveau de son efficacité organisationnelle.
Beaucoup de causes favorisant le stress au travail résident dans l’organisation du travail et la conception des tâches, dans le style de gestion du personnel, concourant à un excès de charge mentale endurée lors de l’activité professionnelle : efforts de concentration, de compréhension, d’adaptation, d’attention, et pressions psychologiques liées aux exigences de rapidité, délai, qualité d’exécution, à l’obéissance aux ordres de la hiérarchie et à la gestion des relations avec les collègues et les tiers.
Les nombreuses expérimentations et pratiques empiriques en entreprise, s’accordent pour conclure que la santé et la satisfaction au travail sont basés sur toute une série de conditions de travail favorables : les conditions matérielles, horaires, locaux, statut, rémunération, avantages sociaux … sont nécessaires mais insuffisantes, car des composantes psychologiques telles que le sentiment d’accomplissement, la reconnaissance de ses supérieurs et de ses pairs, la progression individuelle, le contenu du travail adapté aux capacités et à la personnalité, la jouissance d’autonomie et de responsabilité au niveau de celle que l’on est capable d’assumer, sont tout aussi importantes.
L’adoption de mesures techniques et organisationnelles au travers de plans d’action psychosociaux, nécessite au préalable une analyse et une évaluation de la situation actuelle des risques, avec l’aide d’outils méthodologiques pertinents.
Il convient ainsi d’avoir une démarche d’analyse des symptômes, de repérer les déterminants pour remonter aux causes organisationnelles et ne pas adopter une attitude de déni : mise en évidence des situations qui dépassent les capacités d’adaptation des individus, recherche objective d’un facteur psychologique ou sociologique ou économique auquel est associé, de façon significative et importante, un certain nombre de problèmes de santé mentale.
Le CSSCT peut proposer d’effectuer une enquête de psycho-dynamique du travail auprès du personnel pour étudier les déterminants de la souffrance générée par le travail lorsque les symptômes apparaissent au vu des indicateurs d’alerte.
Parmi les déterminants de la souffrance psychique, on note le plus souvent :
- manque d’autonomie (et contrôle tatillon) mais aussi absence de prescription et démission de la part de la hiérarchie (contrôle seulement in fine et sur des critères flous ou arbitraires).
- poids des logiques contradictoires (par exemple coûts et délais versus qualité, l’opérateur final devant les arbitrer…), des objectifs inatteignables.
- renvoi à l’individu et non au problème : traitement des situations stressantes par le ressenti (il faut s’adapter personnellement …) plutôt que par la résolution du problème.
- hypersollicitation, poids, affirmé écrasant, de la logique de la loi du marché et de la concurrence, pression temporelle (Just in Time : « flux tendu » zéro panne, zéro délai, zéro papier, zéro stock et zéro défaut), l’urgence omniprésente.
- changement permanent et à tout prix (d’organisation mais aussi de lieux … casser les collectifs de travail existants).
- absence d’intégration (ignorance du fonctionnement, des orientations et des résultats de l’entreprise), de reconnaissance des savoirs engagés au travail et des résultats obtenus (absence d’évaluation ou sous forme unique de sanctions, pas de récompenses).
- Conflits de valeur : dilemmes et désaccords éthiques, qualité empêchée, travail dépourvu de sens.
Les modèles de mesure de la santé mentale au travail
L’approche et l’étude de la santé mentale au travail nécessitent de disposer d’outils méthodologiques, avec la difficulté qu’il Il n'existe pas de méthodes de mesure directe ou indirecte de la charge mentale d'une façon globale et objective et que la définition du concept de la charge de travail mentale diffère selon les disciplines des experts, dont la psychologie, l’ergonomie, la sociologie et le comportement organisationnel.
De multiples facteurs interviennent dans la notion de santé mentale au travail : de très nombreux aspects psychologiques, sociologiques et organisationnels ont conduit à de nombreuses approches managériales différentes. Les recherches et la littérature sur les théories des risques psychosociaux sont foisonnantes, s'appuyant sur une multitude de théories psychologiques et d'expérimentations et de pratiques empiriques en entreprise.
Les contraintes de temps, la quantité et la complexité et les dangers du travail font clairement partie des conditions de travail, mais ces facteurs évidents sont loin d’être les seuls, notamment parce qu’ il y a la présence d’interactions avec d’autres personnes au travail, à l’intérieur de l’entreprise, chefs, pairs ou subordonnés, ou à l’extérieur, clients, fournisseurs, prestataires…
Les conflits au travail, qu’ils soient relatifs au rôle, à la fonction ou à l’autonomie dans la structure de l’entreprise ou aux valeurs (éthique, image du métier…) détériorent les conditions de travail.
Les exigences émotionnelles fréquentes dans les métiers relationnels (commerciaux, médico-sociaux, enseignement…) génèrent une vive tension augmentant la charge mentale du fait de la fréquente dissonance entre les sentiments réels du travailleur et l’apparence qu’il doit afficher vis-à-vis de son interlocuteur ou client (amabilité forcée, compréhension factice…).
Les violences internes (abus d’autorité, harcèlements moral ou sexuel) et externes au travail (agressions verbales ou physiques des tiers à l’entreprise) sont des facteurs aggravant l’insatisfaction au travail.
Enfin, les mauvaises ambiances physiques de travail (sonores, thermiques, lumineuses, ergonomiques…) ou organisationnelles (travail de nuit, isolé, les jours fériés, heures supplémentaires, …) conditionnent aussi bien évidemment les risques.
A l’inverse, le soutien social au travail, l’aide et la reconnaissance de la part des supérieurs ou des collègues, en diminuant la charge mentale, améliore la satisfaction au travail : compte tenu des capacités intellectuelles de l'individu et de l'organisation mise en place dans l'entreprise (technique, administrative), sa motivation agit directement sur le poids de la charge mentale qu’il ressent en mobilisant au mieux ces capacités psychiques.
De même, le plaisir ressenti de faire une tache utile et/ou gratifiante sur un plan intellectuel et/ou social, le sentiment d’accomplissement et de progression individuelle dans un travail adapté à ses capacités et à sa personnalité, le sentiment d'efficacité personnelle et d’estime de soi, diminuent sensiblement la charge mentale.
L’évaluation pratique de la charge mentale au travail requiert de repérer les sources de charge mentale, et de trouver dans l'organisation du travail tout ce qui l’augmente, au travers d’une bonne définition des indicateurs observés, les plus factuels possibles : pour décrire la charge mentale, on utilise des enquêtes et on analyse les réponses des travailleurs à des questionnaires sur leurs conditions de travail. Par la combinaison de plusieurs indicateurs, par le recoupement de plusieurs réponses sur le même thème, on peut cerner des situations organisationnelles stressantes, et mieux objectiver les possibilités de surcharge mentale.
Le contexte théorique de la santé mentale au travail
Le bien-être au travail est une notion plus large que la qualité de vie au travail (plus objectivable), en y ajoutant des éléments subjectifs : la perception que chacun a de ses conditions de son travail et les émotions liées à l’expérience et au vécu de ses situations de travail.
L’Accord National Interprofessionnel (2013) inclut sa définition de la Qualité de Vie au Travail dans le “sentiment de bien-être au travail”.
- L es dimensions du bien-être au travail
Un état du bien-être peut se positionner sur trois dimensions : cognitive (état tiré de sa connaissance de l’environnement), hédonique (état lié à ses émotions positives et négatives), eudémonique (état lié au sentiment d'avoir une vie qui a du sens).
- Dimension cognitive : évaluation et appréciation de sa situation par rapport à celle des autres (dans et hors l’entreprise) et par rapport à ses souhaits et objectifs : rémunération et avantages sociaux, intensité et temps de travail, information et formation, validation des acquis, développement des compétences et progression dans le parcours professionnel, exposition aux risques professionnels, accès à des services au personnel ...
- Dimension hédonique : cadre de travail agréable ou désagréable, sentiment de sécurité ou d’insécurité professionnelle, jouissance ou non d'autonomie et de responsabilité dans son travail, plaisir ou déplaisir de l’appartenance à un groupe, impression ou non de lien et soutien social instrumental ou émotionnel du collectif de travail, bon ou mauvais esprit d’équipe …
- Dimension eudémonique : sentiment d'accomplissement et d’épanouissement personnel, bonne ou insuffisante reconnaissance de ses supérieurs et de ses pairs, fierté ou non d’appartenance à l’entreprise, sentiment d’alignement ou non avec les missions de l’entreprise, adhésions ou conflits de valeur et d’éthique de travail, obtention ou non de sens à son investissement personnel et à son engagement professionnel, sentiment de se sentir socialement utile ou inutile.
Exemple de positionnement d’une situation de travail (X) :
La théorie de Maslow considère que la motivation et la satisfaction au travail sont suscitées par la volonté d’assouvir des besoins au travail.
D'après l’analyse de Maslow (complétée avec celle sur la reconnaissance reçue), l'individu cherche à répondre à des besoins selon une hiérarchie : une fois qu'un besoin est satisfait, l'individu souhaite satisfaire le besoin immédiatement supérieur dans la hiérarchie, jusqu'à ce qu'il parvienne au dernier niveau, celui de l'accomplissement personnel.
Cette hiérarchie est souvent présentée sous forme d'une pyramide, avec de haut en bas :
- Besoins d'accomplissement personnel (réalisation de soi) : le sommet
- Besoins d'estime de soi et des autres (reconnaissance)
- Besoins sociaux (appartenance à un groupe)
- Besoins de sécurité (physique et mentale)
- Besoins physiologiques (conditions matérielles) : la base
La pyramide de Maslow permet de disposer d’une grille d’analyse intéressante pour évaluer le bien-être du personnel sur chacun des niveaux et pour décider des plans d’actions d’amélioration. Pour avoir des collaborateurs satisfaits, il est donc important d'examiner d'abord attentivement les conditions de travail matérielles (rémunération, charge de travail, hygiène et santé au travail …) qui peuvent nuire à la satisfaction et à la motivation au travail. Mais, si de bonnes conditions matérielles de travail améliorent fortement la productivité et la prévention des risques professionnels, elles sont loin d'être suffisantes pour une totale satisfaction au travail : l’amélioration des conditions matérielles (la base de la pyramide de Maslow) est un facteur de motivation minimal mais il y a des « facteurs de motivation » supérieurs qui sont : le sentiment d'accomplissement, la reconnaissance de ses supérieurs et de ses pairs, la progression individuelle, le contenu du travail adapté aux capacités et à la personnalité, la jouissance d'autonomie et de responsabilité au niveau de celle que l'on est capable d'assumer, le fort lien et soutien social du collectif de travail.
Pour chaque niveaux de la pyramide, il faut définir des indicateurs pertinents.
- Le modèle de Karasek et Theorell (1990) propose trois axes d'analyse dont les croisements sont significatifs d'une situation de travail :
1) Les exigences de travail
qui correspondent au niveau de demande psychologique en quantité, complexité, durée et danger du travail à fournir : contraintes cognitives et temporelles, en y associant les tâches imprévues et/ou morcelées, les ordres contradictoires, les interruptions de tâches pour en effectuer d'autres plus urgentes, la dépendance vis-à-vis des autres, les risques physiques...
2) Le degré d'autonomie
qui correspond à la possibilité de choisir les modes opératoires et à la capacité à peser sur les décisions (latitude décisionnelle), à l'utilisation des compétences et qui mesure la possibilité d'épanouissement dans la réalisation de la tâche : liberté d'organisation, marges de manœuvre, diversité des tâches, développement des connaissances, des compétences, créativité...
3) Le soutien social, instrumental ou émotionnel, dont dispose le travailleur sur son lieu de travail, de la part des collègues et de la hiérarchie : soutien sur les aspects techniques comme la mise en œuvre d'une machine ou d'une procédure ou sur les aspects d'aide morale et de reconnaissance des efforts et des résultats.
En croisant les deux premières dimensions, on obtient la matrice de Karasek où les exigences du travail figurent en abscisse et le degré d'autonomie en ordonnée.
A l'intérieur de chaque situation de travail, vient s'ajouter l'intensité de soutien social qui module l'intensité de la charge mentale : une situation de forte tension psychique associée à un faible soutien social entraine des conditions de travail particulièrement stressantes, pour lesquelles des mesures de prévention urgentes et fortes pour éviter l'apparition de graves risques psychosociaux (accidents cardiovasculaires, dépressions...) doivent être prises, alors que c'est moins le cas si le soutien social est élevé.
La diagonale « Passivité – Activité » indique la capacité de développement personnel, donc de bien-être et de satisfaction, offerts par le travail.
La diagonale « Faible – Forte tension psychique » indique le niveau de souffrance, donc de mal-être et d'insatisfaction, induits par le travail.
Ces méthodes permettent d'acquérir les connaissances et les capacités à combiner les schémas explicatifs des phénomènes de surcharge mentale, amenant une souffrance au travail : le « Job strain » ou « tension au travail » est la combinaison faible latitude / forte exigence. L’ « Iso-strain » est la combinaison délétère d’une situation de Job strain et d’un faible soutien social, qui cumule « Job strain » et « Isolation ».
Des réponses à des questionnaires d’évaluation collective (type scores de la méthode de Karasek) permettent de quantifier les différents critères retenus de bien-être au travail sur chaque axe.
Il faut noter qu’il est possible que la situation de pénibilité mentale soit mal perçue par les travailleurs car la méthode de Karasek ne renseigne pas sur leur degré de résistance au stress par stratégie d'adaptation (ou « coping »), et qu’a contrario, une méthode de Karasek utilisée pendant ou immédiatement à la suite d’un conflit social portant sur les conditions de travail soit sujette à un biais d’exagération.
Toutefois, ces méthodes permettent d’acquérir les connaissances et les capacités à combiner les schémas explicatifs des phénomènes de surcharge mentale, dès que les indicateurs d’alerte de souffrance au travail chez les salariés sont repérés : augmentation de la fréquence et de la gravité des urgences sur le lieu du travail liées à des incidents conflictuels (actes de violence, bouffées délirantes, tentative de suicide …) , de l’aggravation des indicateurs de santé négatifs (troubles musculo-squelettiques, troubles cardio-vasculaires, dépressions …), hausse du taux d’absentéisme, du turn-over.
Ce sont des démarches d’analyse des symptômes, de repérage des déterminants de souffrance psychique pour remonter aux causes organisationnelles : mise en évidence des situations qui dépassent les capacités d’adaptation des individus, recherche objective des facteurs psychologiques ou sociologiques auquel est associé, de façon significative et importante, un certain nombre de problèmes de santé mentale.
Au terme de cette démarche, la conviction du management que l’organisation doit investir de façon préventive dans le bon état de santé psychologique des salariés est plus facilement acquise, car objectivée.
Ces évaluations correspondent à des expertises faites par des tiers tels que des consultants en gestion des ressources humaines, des médecins de travail etc… Ces évaluations se présentent pour la plupart sous des formes de listes d’éléments qui renseignent sur les situations de risque psychosocial, et il existe de nombreux guides et formulaires. Ces évaluations sont comparées à un référentiel afin de déterminer le niveau de danger qu’elles représentent.
- Le modèle de la balance EFFORTS / RECOMPENCES de SIEGRIST
Le sociologue Johannes SIEGRIST ( « Effort-Reward Imbalance at work and health (ERI)», 2002 ) développe le concept de « réciprocité sociale » c’est-à-dire la possibilité d’avoir accès pour une personne à des avantages considérés comme légitimes. Il stipule qu’une situation de travail caractérisée par la combinaison d’efforts élevés qu’une personne consent à fournir dans son travail et de faibles récompenses qu’elle en reçoit en retour, est suivie de réactions pathologiques au plan émotionnel et physiologique : ce déséquilibre conduit à une situation de stress et par suite, de mal-être au travail. Un tel déséquilibre dans la durée a un effet pernicieux sur l’estime de soi, avec des effets néfastes à long terme sur la santé, comme les risques élevés de dépression, de cardiopathie, de maladie coronarienne, confirmés par des études socio-épidémiologiques comparatives.
Le modèle effort / récompense de Siegrist exprime donc qu'un déséquilibre entre un effort consenti élevé et un faible niveau de récompense au travail (estime, promotion, augmentation de salaire...) est un facteur important de charge mentale.
Les efforts peuvent provenir d’une source extrinsèque ou intrinsèque à l’individu :
- Les efforts extrinsèques : ce sont les contraintes et exigences liées au travail à la fois sur le plan psychologique et physique : fortes contraintes de quantités/qualité et délais, interruptions fréquentes, nombreuses et lourdes responsabilités, charge élevée physique et/ou mentale …
- L’effort intrinsèque (ou surinvestissement) est associé à un engagement excessif dans le travail, conscient ou inconscient, pour se sentir estimé : besoin d’approbation et de se dépasser …
Les récompenses comprennent le salaire et autres avantages matériels ou sociaux et services aux salariés, l'estime et la reconnaissance de ses chefs et de ses pairs, les perspectives de promotion, la sécurité d'emploi : les gains monétaires constituent la reconnaissance matérielle, l’estime reçue de la part des collègues et des supérieurs hiérarchiques constituent la reconnaissance sociale, les perspectives de promotion et la sécurité de l’emploi indiquent le degré de contrôle du statut professionnel.
Pour évaluer la balance Efforts / Récompenses, le questionnaire ERI de SIEGRIST propose de répondre à des affirmations portant sur ces différents éléments : la version longue comporte 46 items, tandis que la version courte en comporte 23.
Le modèle Efforts / Récompenses de Siegrist permet donc de comprendre et d’agir au niveau organisationnel et managérial (notamment sur la reconnaissance) ainsi qu’ individuel, pour améliorer la qualité au travail.
- L'approche transactionnelle de Mackay et Cooper
Cette méthode transactionnelle permet de rechercher les éléments constitutifs nuisant à la qualité de vie au travail et d’identifier les multiples agents « stresseurs », d’origine tant physique que psychologique ou organisationnelle, responsables de mal-être au travail.
Le modèle "Transactional Model of Occupational Stress" est un modèle cybernétique (avec feed-back) des processus cognitifs et des réactions émotionnelles qui sous-tendent l’interaction du sujet avec son environnement. C’est un modèle dynamique montrant de quelle façon au cours du temps, les ressources, les demandes, le stress, le comportement et la santé peuvent interagir, avec présence des boucles de rétroaction de la perception d’équilibre entre demandes et ressources.
Le modèle transactionnel du stress professionnel de Mackay et Cooper (1987) illustre le déséquilibre possible entre contraintes et ressources, origine du stress professionnel : cette approche conçoit le stress non comme une composante fixe de l'environnement ou de l'individu mais comme un processus évoluant dans le temps.
Le modèle de Mackay et Cooper explique le stress ressenti en fonction d'un déséquilibre entre des demandes externes ( exigences de rendement ou de qualité ou de délai … ) ou internes (ambition dans sa vie professionnelle, éthique personnelle …) et des ressources internes ( capacité physique / intellectuelle, expérience …) ou externes (outil de travail, documentation, …) .
L'inadéquation ressentie entre les exigences de l'environnement de travail et la capacité de l'individu conduit à un déséquilibre qui va générer du stress, et à des mécanismes (coping) pour tenter de combler l’écart, avec un ensemble de transactions entre l’individu et la situation, constitué d’efforts cognitifs et comportementaux pour faire face.
Les risques sur la santé mentale des conflits de valeur au travail
Les conflits de valeurs au travail regroupent les dilemmes et désaccords éthiques, le travail et la qualité empêchés, le travail ressenti comme inutile ou dépourvu de sens.
Six actifs sur dix sont exposés à des conflits de valeurs au travail qui figurent parmi les grands facteurs de risques psychosociaux. Ils apparaissent désormais comme une préoccupation importante à prendre en compte dans les plans de prévention de santé au travail : pour un employé, l’impression de faire un travail inutile, ou de piètre qualité, ou contraire à son éthique ou contrevenant à ses aspirations profondes, sont générateurs d’un désengagement concernant le travail, de retrait dans l’implication vis-à-vis de l’organisation, d’un mal-être, d’une souffrance au travail chroniques, de stress permanent avec ses conséquences psychosomatiques délétères sur la santé mentale.
§ Dilemmes et désaccords éthiques (devoir faire des choses que l’on désapprouve). En ce qui concerne les valeurs personnelles versus valeurs de l’entreprise, certains traits de personnalité des salariés s’affirment de plus en plus, comme un besoin de maîtrise de leur vie face à l’autorité hiérarchique, un idéal éthique professionnel élevé, une volonté d’accomplissement personnel au travail ... caractéristiques qui se rencontrent plus ou moins dans leur entreprise. Le contexte sociétal axiologique° et les considérations éthiques (discriminations, inégalités, écologie, pollutions …) sont de plus en plus prégnants et peuvent susciter des conflits au sein de l’organisation. L’absence d’une politique de conciliation travail-famille est aussi porteuse de mal-être au travail et les menaces sur l’équilibre vie professionnelle-vie privée deviennent désormais un souci majeur.
( ° : relatif aux valeurs )
§ Travail et qualité empêchés (être obligé d’accomplir un travail de piètre qualité, par défaut d’objectif adéquat, de moyens ou de délais suffisants, avec atteinte à l’image du métier). La « qualité empêchée » (Y.CLOT), ne pas pouvoir faire un travail de qualité, est un facteur important de risques pour la santé au travail, notamment dans de nombreuses activités de services (médicaux, sociaux, enseignement, transports, entretien et maintenance …) où la qualité de la relation avec la patientèle, l’usager ou la clientèle est un facteur essentiel de détermination de la perception du travail bien fait.
En particulier, la focalisation fréquente court-termiste des dirigeants sur les tableaux de bord financiers et économiques se fait au détriment de la conscience professionnelle contrariée des « middle managers », en imposant de fait une dégradation de la qualité du produit ou du service ou pire celle de la sécurité au travail ou celle de la protection de l’environnement (« bon travail empêché ») : les notions de « bien-être au travail » et de « bien faire son travail » ne peuvent être abordées indépendamment l’une de l’autre.
Les conditions de travail sont la première des causes des difficultés de recrutement et parmi celles-ci, le travail empêché est le plus fortement associé aux obstacles à l’embauche.
§ Travail inutile ou dépourvu de sens (ou non reconnu par les autres). Le sentiment désespérant d'effectuer des tâches dont on ne comprend ni le sens, ni la finalité, a été mis en évidence et popularisé par D.GRAEBER et ses fameux « bullshit jobs ». Les travaux demandés sont jugés insignifiants, inutiles voire absurdes et une perte d’intérêt et de motivation s’installe progressivement avec un sentiment généralisé de mal-être au travail. Par analogie au vocable « burn-out », ou syndrome d’épuisement au travail, très largement documenté, on désigne par « brown-out » ce trouble psychosocial professionnel de perte de sens du travail.
Cela correspond au manque d’autonomie, à l’impossibilité de choisir les modes opératoires et à l’incapacité de peser sur les décisions (aucune latitude décisionnelle), à l'inutilisation des compétences, à l’absence de diversité des tâches et de reconnaissance du travail effectué , à la créativité découragée ...
De nombreux postes aux contenus vagues et flous, non seulement socialement inutiles, mais aussi non valorisants et chronophages, induisent au salarié le sentiment de ne servir à rien, notamment dans les emplois administratifs, gestionnaires des fonctions de support et de contrôle des grandes structures bureaucratiques.
Les compétences psychosociales
L’environnement professionnel, technique, managérial, socioculturel, conditionne évidemment beaucoup la santé mentale au travail, mais les aptitudes et capacités personnelles à s’insérer dans ce contexte y contribuent aussi.
Les compétences psychosociales individuelles (CPS) sont liées à relation à soi et relation à l’autre et déterminent la capacité d’une personne à faire face aux exigences et aux défis de la vie quotidienne, professionnelle dans le cas du salarié dans l’entreprise : les compétences psychosociales peuvent être de nature sociale, émotionnelle ou cognitive et des formations permettent de renforcer ces compétences. Les CPS conditionnent l’aptitude du travailleur à maintenir un état de bien-être mental, en adaptant un comportement adapté dans ces relations avec les autres, en visant une meilleure insertion professionnelle.
Les comportements étant de plus en plus impliqués dans l’origine des problèmes de santé (O.M.S), les CPS sont des facteurs importants impactant la santé mentale et leur amélioration permet de prévenir la survenue d’atteintes psychosomatiques, donc d’agir sur la santé globale et pas seulement mentale.
Les compétences psychosociales sont regroupées en trois catégories : cognitives, émotionnelles et sociales.
- Les compétences cognitives
- la capacité à avoir conscience de soi (qui regroupe de multiples aptitudes comme connaître ses forces et ses faiblesses, s’autoévaluer positivement…) ;
- la maîtrise de soi (atteindre ses buts, savoir planifier…) ;
- la capacité à prendre des décisions constructives (savoir identifier et résoudre les problèmes, ...) ;
- Les compétences émotionnelles
- la capacité à comprendre et identifier ses émotions et son stress ;
- la capacité à réguler ses émotions (afin de ne pas être submergé et de répondre à ses besoins psychologiques) ;
- la capacité à gérer son stress.
- Les compétences sociales
- la capacité à communiquer de façon constructive (savoir se faire comprendre …);
- la capacité à développer des relations (entrer en relation, savoir coopérer ou s'entraider...) ;
- la capacité à résoudre des difficultés (savoir et oser demander de l'aide, s'affirmer, résoudre des conflits en trouvant des solutions positives pour soi et les autres…).
Le développement de la capacité psychosociale nécessite de renforcer les ressources d’adaptation (coping) de la personne.
Les techniques de coping
L’anxiété et le stress font partie de la vie quotidienne au travail et leur intensité influence lourdement la santé mentale au travail.
Les conduites d’adaptation utilisées par les employés pour répondre au stress professionnel et à la souffrance qu’il engendre peuvent être plus ou moins efficaces : la façon de s’ajuster aux situations stressantes (styles de coping) va conditionner l’importance de conséquences telles que l’anxiété et les manifestations somatiques et joue un rôle prépondérant dans le bien-être physique et psychologique.
C’est ainsi que des réactions adéquates aux situations stressantes auxquelles sont confrontées les personnes au travail peuvent permettre d’en prévenir les conséquences néfastes sur leur santé mentale : cet ajustement au stress au travail nécessite d’utiliser différentes méthodes comportementales de faire face (coping), pour maintenir un bon état de santé physique et psychique des travailleurs, notamment lorsqu’ils sont soumis à des risques d’agressions verbales et/ou physiques répétées (transports publics, éducation nationale, secteur sanitaire et social …).
Les conduites d’adaptation utilisées par les individus pour répondre au stress et à la souffrance qu’il engendre, afin d'en maîtriser ou diminuer l'impact sur son bien-être physique et psychique, font l’objet de stratégies individuelles d’ajustement désignées sous le terme de « coping » (faire face).
C’est l'ensemble des processus qu'un individu interpose entre lui et un événement éprouvant car on ne subit pas passivement les situations stressantes et ces tentatives sont plus ou moins efficaces pour réduire les sentiments d’anxiété, d’impuissance : les interactions entre l’individu et la situation stressante conduisent à diverses manifestations qui peuvent interagir les unes sur les autres et modifier de ce fait les variables concernant la personne ou les stresseurs dans un processus dynamique de feed-back, avec des conséquences positives ou négatives sur l’état émotionnel. Il y a de plus un stresseur initial, par exemple l’agression d’un patient sur une infirmière, mais aussi des stresseurs secondaires éventuels, comme le manque de soutien social de la part de sa hiérarchie…
Fondamentalement, les stratégies de coping modulent l’émotion induite par un stresseur de deux façons : soit elles visent à résoudre le problème, soit à éviter le problème. Dans le premier cas, il s’agit d’un coping actif pour une situation jugée contrôlable, dans le second cas il s’agit d’un coping émotionnel pour une situation jugée incontrôlable.
La stratégie centrée sur le problème vise à modifier concrètement l’environnement stressant par un contrôle individuel de la situation par confrontation directe (attitudes d’apaisement, autoritaires, violentes...) ou par un contrôle social (recherche d'un appui extérieur, hiérarchie, collègues…).
La stratégie centrée sur l’émotion vise à modifier la perception de l’événement stressant soit par prise de distance ou la maîtrise de soi : les mécanismes de défense sont alors l’exclusion des émotions associées pour éviter des conflits et des menaces pénibles par refoulement, déni, minimisation, détournement d’attention, fuite, distanciation ; il s’agit d’un désengagement comportemental et mental ou d'attitudes visant à discipliner l'émotion (relaxation, dissociation…).
Chacune de ces stratégies conduit à apporter aux conséquences initiales de l’événement stressant, une réévaluation de l’émotion en nature et intensité : en fonction du succès ou de l’échec de la stratégie de coping, il y a réduction ou accroissement du stress. Pour un même stresseur, il n’y a pas de stratégie systématiquement à privilégier : par exemple, lors de l’agression verbale d’un client, une stratégie de confrontation peut aboutir à exacerber la volonté de domination de sa part, une stratégie d’évitement peut encourager l’abus de faiblesse. De même la recherche d’un soutien social peut s’avérer totalement contre-productif si celui-ci vient à manquer ou être inapproprié : les collègues de travail et les supérieurs hiérarchiques, eux-mêmes stressés par l’événement dont ils sont le témoin, peuvent adopter une stratégie d’évitement en ce qui les concerne.
Des questionnaires dʼauto-évaluation du coping et des échelles multidimensionnelles permettent de mesurer les stratégies de coping mis en œuvre lors d'une situation stressante. Ces questionnaires sont utilisés dans les démarches de diagnostic et de prévention du stress et des risques psychosociaux au travail.
Il existe des auto-évaluations quantitatives, ou l’individu estime ses réactions à partir d’échelles de mesure :
- Le WCC (Ways of Coping Checklist), et le WCQ (Ways of Coping Questionnaire) mesurent les deux styles de coping (centré sur le problème et centré sur l’émotion).
- L’inventaire CISS (Coping Inventory for Stressful Situations) est un questionnaire construit pour évaluer les styles généraux de réactions aux situations stressantes selon trois dimensions : le CISS ajoute aux deux stratégies de base que sont le coping centré sur l’émotion et le coping centré sur le problème, une troisième dimension, la réaction par évitement.
Des formations spécifiques au coping permettent d’apprendre à maitriser différentes stratégies individuelles ou interindividuelles d’ajustement pour moduler l’émotion et diminuer l’impact d’un événement stressant.
Cette formation à la gestion des conflits et du stress afin d'obtenir un meilleur contrôle émotionnel est dispensée par des cabinets de conseil spécialisés.
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21/07/2023