L’évaluation de la satisfaction au travail
La génération de l’évaluation se fonde sur une analyse multicritères que l’on peut réunir sur un diagramme polaire, avec comme axes les différents critères choisis : l’étape de mapping de la situation actuelle décrit l’évaluation des risques psychosociaux, puis l’étape d’évaluation des objectifs des plans d’action décrit les volontés d’amélioration, représentées utilement sous forme d’évolution du radar polaire.
Trois grandes catégories (voir matrice de KARAZEK) regroupent les différents critères :
1. Les conditions de travail et ses exigences quantitatives et qualitatives
2. La latitude décisionnelle dépendant du degré d’autonomie et conditionnant le sens donné à son travail et à l’accomplissement de soi
3. Les relations de travail exprimant le soutien social reçu, avec la nature de reconnaissance de son travail, matérielle et/ou morale.
Dans l’exemple ci-dessus, on note que l’effort principal doit porter sur la réduction des exigences du travail, puis dans l’amélioration des rôles de chacun dans l’organisation.
L’analyse multicritères comporte d’abord l’identification des critères à évaluer et de leur pondération, puis les évaluations détaillées par les employés sur une fiche, enfin calculs avec les moyennes et les jugements globaux correspondants : l’auto-évaluation quantitative, ou l’employé estime à partir d’échelles de mesure son ressenti, s’effectue à partir de questionnaires relatifs à chacun des critères des axes d’analyse.
Techniquement, des outils sur tableur permettent des calculs aisés et des présentations pédagogiques.
Exemple illustratif :
Les plans d’action d’amélioration de la santé mentale au travail
Un plan d’action a pour vocation de donner un dessein et de guider l'action face à un enjeu majeur, en fédérant le personnel de l’entreprise, suscitant le désir d'agir ensemble de manière cohérente. Un projet d’amélioration de la santé mentale au travail s’inscrit dans une cette dynamique qui requiert de la pédagogie, une démarche participative et collaborative. Il s’agit de rendre les salariés de l’entreprise conscients des enjeux et acteurs, de susciter un nouvel état d'esprit dans l'entreprise partagé par la plus grande partie du personnel, face à un enjeu consensuel ressenti comme important: le projet d'entreprise résulte d’une démarche destinée au personnel qui a pour but de le motiver, d'assurer sa cohésion, et vise à mobiliser les énergies de tous vers un objectif commun d’amélioration de la santé mentale au travail.
La demande croissante de diminution des risques psychosociaux engendre beaucoup de mouvements sociaux qui revendiquent l'amélioration des conditions de travail, avec de plus la problématique nouvelle de la prise en compte de la souffrance psychologique au travail (stress, harcèlements...). Dans un climat généralement tendu et passionnel, le lancement d’un projet dédié à la santé mentale est susceptible de créer des espaces de dialogue pour favoriser la compréhension et trouver des solutions : ce plan d’action est alors un levier de motivation face aux évolutions et constitue un outil permettant de préciser les axes d'actions prioritaires et les moyens retenus, en fixant des objectifs clairs, partagés et mobilisateurs, et en allouant des ressources en vue de l’amélioration de la santé mentale au travail.
Le déroulement du projet comporte trois étapes : le lancement et la constitution d’une équipe animée par un chef de projet, l’évaluation de l’existant et la recherche des meilleures pratiques, l’élaboration des solutions d’amélioration avec des plans d’action. A la fin de chaque étape, un Comité de Pilotage du projet évalue et valide les analyses et les propositions au cours de réunions formelles avec l’équipe.
La prévention du mal-être au travail : burn-out, bore-out, brown-out
Parmi les troubles de santé mentale au travail, le burn-out, ou syndrome d’épuisement au travail, entraine un risque d'accident cardio-vasculaire et d’état dépressif très largement documenté, et depuis quelques années, d’autres maladies psychosomatiques liées au travail sont apparues , telles que le bore-out (ennui au travail) et le brown-out (perte de sens au travail) : les 3 B-out !
Les dégâts de ces troubles psychiques sont de plus en plus évidents et par ailleurs, l’épanouissement au travail et la prise en compte de la satisfaction au travail dans la pratique managériale devient essentielle dans des systèmes organisationnels qui se complexifient et demandent une grande réactivité, pour améliorer la motivation et la fidélisation des salariés, dans une société où la qualité de vie au travail est une valeur croissante.
Les entreprises peuvent réduire les effets toxiques des 3 B-out en valorisant et en reconnaissant le travail des personnes, en agissant sur leur environnement hiérarchique et relationnel et en repensant l'organisation du travail et certaines méthodes de management.
- Les composantes du mal-être au travail
Le stress permanent a des effets destructeurs et pathogènes sur les individus qui y sont soumis : la confirmation chez les salariés de la réalité croissante des atteintes à la santé psychique et de ses effets somatiques (maladies cardio-vasculaires, troubles musculosquelettiques TMS, troubles gastro-intestinaux, états d'anxiété et dépressifs…) et celle du rôle des facteurs organisationnels et managériaux dans les entreprises sur le mal-être au travail constituent une alerte majeure de santé au travail, puisque presque la moitié des arrêts maladie en serait imputable, directement ou indirectement.
Les facteurs de stress au travail ont plusieurs origines (violence au travail dont les harcèlements, usure compassionnelle des soignants …), mais c’est le stress managérial et organisationnel qui est responsable du mal-être diffus au travail : il est dû aux méthodes de management, à la gestion des ressources humaines et aux changements d’organisation. Des évolutions organisationnelles fréquentes entraînent souvent une forte déstabilisation, voire une déstructuration des collectifs de soutien social (métier ou fonction).
Un mal-être conséquent au travail peut conduire à se trouver soit victime d'épuisement total (burn-out), ou d'ennui continuel (bore-out) ou de quête de sens (brown-out) dans la vie professionnelle, avec son lot de troubles physiques et psychiques.
La matrice de Karasek permet de positionner les composantes des 3 B-out :
- Le burn-out
Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, est lié à une surcharge continuelle de travail, avec un déséquilibre apparaissant entre la pression supportée du fait de cette charge de travail et les ressources individuelles du travailleur (réelles ou perçues) : le burn-out crée une faille, succédant à une longue étape de surmenage, avec décompression. Il est avivé par la disproportion avérée ou ressentie de plusieurs facteurs relatifs au faible soutien par rapport au fort effort consenti : faible reconnaissance par rapport au fort engagement, faible latitude de décision par rapport au fort volume de travail …
Le burn-out se traduit par un épuisement émotionnel, une dépersonnalisation de la relation à l’autre, un sentiment d’échec professionnel et une incapacité partielle ou totale à accomplir son travail.
Le burn-out conduit à des troubles physiques (maladies cardio-vasculaires, migraines, perte d’appétit ou troubles digestifs, fatigue musculaire, maux de dos…) accompagnés de troubles psychiques (anxiété, insomnie, pertes de mémoire, irritabilité …). Ce syndrome déclenche un stress chronique et possiblement une dépression majeure qui, dans ses formes extrêmes, mène au « karoshi japonais», mort subite au travail par crise cardiaque, accident vasculaire cérébral (AVC) ou suicide à la suite d'une surcharge prolongée et excessive de travail.
- Les nouvelles formes de travail peuvent favoriser le burn-out
Les efforts permanents d'accomplissements de tâches de traitement d'informations, mais aussi les pressions psychologiques liées aux exigences de rapidité, délais de réponse, les sollicitations constantes en temps réel que permettent les Technologies de l'Information et de la Communication TIC, génèrent une forte contrainte psychique. L'intensification de la charge mentale est induite par ces nouvelles formes de travail et par les TIC, qui imposent une vigilance accrue et constante, les yeux rivés sur l'écran pour ouvrir les multiples messages électroniques et y répondre immédiatement même sans caractère urgent ou consulter les derniers reportings, rapports ou incidents de l'entreprise.
De plus, ces outils permettent un nomadisme accru du travail, une disponibilité constante par le truchement du téléphone ou de l'ordinateur portable, avec éventuellement une surveillance sophistiquée et pernicieuse des salariés par surveillance régulière à distance (géolocalisation) : les employés peuvent travailler et se faire solliciter dans les transports en commun, à leur domicile le soir ou le week-end au détriment de leur vie privée et de leur temps de repos. Le blurring (abolition des frontières entre vie professionnelle et privée) se complète aussi par le mélange des plages de travail et de vacance (phénomène de weisure = work + leisure), qui conduit ainsi à un enchainement ininterrompu de stress, même sur le lieu de vacances, au bord de la piscine ou sur la piste de ski !
Finalement, les travailleurs peuvent être ainsi amenés à travailler au détriment de leur vie privée et de leur temps de repos, avec des plages horaires excessives, ce qui entraîne des situations de stress. Les horaires de travail plus souples peuvent aisément finir par empiéter sur la vie privée et le souci légitime de contrôle du manager peut devenir excessif, avec également la fixation d'objectifs inatteignables et /ou peu clairs.
- Les trois dimensions du burn-out
- l’épuisement émotionnel : fatigue ressentie à l’idée même du travail, grand sentiment de culpabilité en s’estimant être incapable, fautif, en ne parvenant pas à remplir sa mission et/ou à satisfaire sa hiérarchie. Le redoublement d’effort, la quête de toujours plus et mieux faire conduisent à un cercle vicieux, avec effondrement de l’estime de soi.
- la dépersonnalisation de la relation à l’autre et la perte d’empathie : exclusion progressive du salarié de la vie sociale professionnelle, puis familiale et amicale par diminution de la capacité à gérer la relation aux autres, du fait du ressentiment profond d’échec personnel. L’impression de culpabilité conduit à l’évitement des contacts sociaux et au repli sur soi-même, parfois renforcé avec des attitudes exagérément négatives à l’égard des collègues, des supérieurs hiérarchiques …
- l’effondrement de l’accomplissement personnel au travail : non seulement la personne s’évalue négativement, doute de ses réelles compétences, mais elle ne s’attribue aucune capacité à faire évoluer la situation, ni ne cherche vraiment à obtenir du soutien et/ou à remettre en cause son environnement professionnel. Ces effets démotivants d’une situation pénible, répétitive, mènent à l’échec permanent malgré les efforts.
Le Test de Maslach (Burn-out Inventory : MBI test) avec 22 items permet d’ explorer ces 3 dimensions du burn-out.
- Les mesures spécifiques de prévention du burn-out
Les réponses organisationnelles sont liées en partie au profil de chacun et au type de travail.
- Le « droit à la déconnexion » , entré en vigueur en 2017, vise à « assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale » : en dehors de plages horaires de travail hors astreinte liée à la sécurité, négocié avec les partenaires sociaux, il fait partie des mesures de prévention du burn-out.
Il faut établir une garantie que les TIC ne seront pas utilisées en dehors des objectifs qui leur sont assignés et des restrictions explicitées, par exemple pour surveiller les connexions Internet, les messages, les localisations. La rédaction d'une charte en commun, résultat d'un dialogue avec le personnel et leurs représentants, favorise l'appropriation par tous les acteurs de l'entreprise des bons usages, un suivi qualité et une observation de leur appropriation.
- La charge et le rythme de travail
Aider à prendre du recul et à réfléchir en permanence sur la façon d'agir par une formation à la gestion du temps de travail : optimiser un agenda, savoir hiérarchiser les priorités et répondre à de multiples demandes en parallèle, prévoir des périodes de pauses réelles et déconnectées, des journées off ….
- Le style de management
La fixation d'objectifs doit être réaliste et surtout le résultat d'un dialogue incluant les moyens pour y parvenir, tenant compte en particulier de l'évolution des contraintes extérieures (conjoncture économique, actions de la concurrence, …) sur lesquelles le travailleur ne peut pas avoir d'action, déterminé à partir des éléments sous sa responsabilité effective : en effet, ne jamais atteindre ses objectifs non seulement démobilise, ce qui est le contraire du but recherché, mais aussi peut, chez certaines personnes plus fragiles, faire naître des sentiments intenses d'infériorité, de mésestime de soi, qui peuvent engendrer le workaholisme (addiction au travail) pour faire face et une dépression.
Le bien-être au travail dépend largement du style de management : les feedbacks positifs et négatifs émis par le manager dans l’exercice de son autorité ont des impacts tout à fait différents : une personne, grâce à l’estime et la reconnaissance qu’on lui porte, sera beaucoup plus motivée, et par suite satisfaite de son travail.
La surveillance et le contrôle du salarié, assortis de systèmes de punition sanctionnant le relâchement de l’effort soumet les salariés à un stress important, facteur d’improductivité plus que de motivation à bien faire.
Par contre, l'utilité de complimenter les collaborateurs pour un travail bien exécuté, un projet mené à son terme avec efficience est très grande pour développer la motivation et la satisfaction au travail. Un salarié qui se sent apprécié est plus motivé (Besoins d’estime de soi et des autres de Maslow).
- La conciliation vie professionnelle - vie privée
La conciliation vie professionnelle - vie privée permet de gérer efficacement les multiples responsabilités du salarié au travail, dans son foyer et dans sa communauté, tout en maintenant sa bonne santé physique et psychologique.
Il s’agit de créer de la souplesse dans les rythmes et les structures de travail et de proposer des services aux salariés.
Des politiques de travail plus souples nécessitent en contrepartie plus de contrôle négocié et accepté par les employés et les responsables hiérarchiques, ce qui alimente le dialogue social et la coopération des partenaires.
Ces politiques ne peuvent pas être uniformes et elles doivent pouvoir s’adapter aux besoins de chaque catégorie de personnel et selon les moments de l’existence (congés spécifiques pour les événements de la vie familiale, congés sabbatiques, télétravail, temps partiel choisi...).
Les souplesses peuvent porter sur la durée, les horaires et les lieux de travail : ces flexibilités supposent des moyens de gestion des temps de travail et de communication performants, par exemple pour la technologie qui permettra à un employé de travailler partiellement à domicile (télétravail) pour éviter de longs temps de transport.
- Le bore-out
A l’exact opposé du burn-out, le bore-out se définit non comme un surmenage lié à un excès de travail, mais au contraire, comme un profond ennui lié à une sous-charge quantitative et qualitative provoquant une insatisfaction personnelle d’être payé à ne presque rien faire et entrainant une souffrance psychologique due à la frustration de se sentir inutile et dévalorisé professionnellement, ou d’être un simple bouche-trou pour les quelques taches rébarbatives qui sont confiées : cette situation professionnelle subie longtemps génère un sentiment de forte dévalorisation sociale, de perte d’estime de soi et une culpabilité de travailler au ralenti. Culpabilité avivée par le fait que se plaindre d’ennui au travail et en parler autour de soi n’est pas facile en période de chômage de masse ; ce qui contribue à l’isolement ! Il faut donc aussi dissimuler la réalité, donner l’impression d’être occupé, étirer dans le temps le peu de tâches à effectuer …
Les causes de la présence de nombreux postes sous-chargés (jusqu’à 20 % selon certaines estimations) sont multiples, à la fois dans les services publics mais aussi dans les grandes entreprises privées ou les critères de rentabilité devraient pourtant fortement limiter le phénomène !
- Les grandes administrations et les collectivités territoriales recrutent souvent pour « respecter le budget alloué », voire par clientélisme, plutôt que pour répondre à de réels besoins pérennes.
- Les grandes entreprises qui ont un fonctionnement de type bureaucratique suscitent la routine et sont pratiquement toujours en difficulté d’adéquations et de réaffectations des postes, avec notamment l’apparition de doublons, quand elles sont confrontées à l'exigence de transformations, et c'est particulièrement le cas des administrations publiques.
- Le processus de changement organisationnel d’adaptation des structures des entreprises aux évolutions internes ou externes, génère souvent des réductions de postes sans réductions concomitantes des effectifs par suite des contraintes sociales.
- La « mise au placard » ou « placardisation », avoir de moins en moins de travail et/ou des tâches de plus en plus ennuyeuses ou répétitives, est le fait d’une entreprise qui met volontairement à l’écart un ou des salariés à la suite d’une réorganisation interne pour pousser à la démission. Il s’agit d’une forme de harcèlement moral.
La symptomatologie physique et psychique entre le burn-out et le bore-out se ressemble, avec des degrés généralement moins élevés pour le bore-out, mais également diffère sur certains aspects : l’épuisement est moindre pour le bore-out, mais avec des ruminations mentales incessantes sur son sort et un sentiment d’inutilité mais pas d’échec comme dans le burn-out. Ceci est fréquemment accompagné de conduites addictives (tabac, alcool, médicaments, drogue).
La loi oblige l’employeur à respecter les tâches et qualifications stipulées dans le contrat de travail d’un employé qui reçoit en échange un salaire. Si le bore-out, sous-charger abusivement le salarié quantitativement et/ou qualitativement en déqualifiant volontairement son poste, est reconnu comme une forme de harcèlement moral, le bore-out peut être condamné : fournir un travail est une obligation contractuelle à la charge de l’employeur, sinon, il y a un manquement grave en cas de manœuvre caractérisée et consciente pour obtenir une démission sans prime de licenciement, ou de menée manipulatrice à l’encontre d’un salarié pour l’intimider ou l’humilier. Le harcèlement moral d’une pratique de mise à l’écart est caractérisé par le fait d’être maintenu dans une relation de travail sans se voir confier de réelles tâches ou par le fait de se voir affecter seulement à des travaux subalternes ne correspondant pas à sa qualification, avec pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé physique et mentale (jurisprudence prud’hommale).
- Le brown-out
Le brown-out correspond au sentiment d'effectuer des tâches dont on ne comprend ni le sens, ni la finalité, sans qu’il y ait ni sous-charge ni surcharge évidente : ce n’est pas la quantité de travail qui est concernée, mais son intérêt. Les travaux demandés ne sont pas vraiment sous-qualifiés, mais ils sont jugés insignifiants, inutiles voire absurdes et une perte d’intérêt et de motivation s’installe progressivement avec un sentiment généralisé de mal-être au travail.
Certaines professions et postes sont plus exposés que d’autres, les cadres et les jeunes universitaires, notamment les postes pour lesquels l’employé est recruté selon son diplôme, mais manque de tâches stimulantes à accomplir, par le cantonnement à des tâches administratives et de contrôle superflues, sans jamais utiliser toutes ces compétences et connaissances. Les emplois administratifs, gestionnaires, les nombreux niveaux hiérarchiques et fonctionnels transversaux dans les grandes structures bureaucratiques complexifiées de l’économie moderne, sont concernés par ce mal-être organisationnel. Un manque d'autonomie et de responsabilisation des collaborateurs des échelons intermédiaires et inférieurs, un contrôle tatillon, sont liés à ces formes de structure pyramidale et à ces types de management « staff and line ».
Le brown-out est apparu concomitamment à la description des « bullshit jobs », ces fameux « boulots de merde » ou « jobs à la con » décrit par l’anthropologue D.Graeber (2013 et 2018) : « C’est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien ». « Les personnes qui font ces jobs font souvent état de symptômes de dépression, d'anxiété… Leur niveau de souffrance a l’air considérable. Un des symptômes qui ressort de nombreux rapports fiables, ce sont les maladies psychosomatiques. ». Selon lui, un des moteurs de l’existence de ces « bullshit jobs » (en contradiction avec la recherche de rentabilité) est la « féodalité managériale », qui consiste, pour un manager, à étendre la surface de son pouvoir en développant, et donc en complexifiant la structure de subordination dans le but d’élever son statut de grand chef entouré de « larbins », « faire-valoir », « sbires », « petits chefs » etc. De plus, les changements organisationnels liés aux luttes de pouvoir entre dirigeants (constitution / destruction des « fiefs », des « baronnies » …) sont difficiles à supporter pour de très nombreux employés qui sont ballotés d’une structure à l’autre et sont démotivés car ils ne se sentent pas du tout concernés par les enjeux personnels des managers, auxquels malgré tout ils sont contraints de s’adapter avec difficulté et sans intérêt évident pour l’entreprise.
Les postes de chargé d’études, chargé de mission, coordonnateur de projet, … dénotent souvent une absence d’étude, de mission ou de projet utile. Les procédures, rapports, tableaux de bord, graphiques et statistiques s’empilent dans les armoires sans que personne ne songe à les consulter et encore moins à les utiliser : leurs conclusions ou recommandations, si tant est qu’elles soient formulées, sont ignorées ou sont destinées à ne pas être appliquées. Ces nombreux postes ou travaux aux contenus vagues et flous, non seulement socialement inutiles, mais aussi non valorisants et chronophages, induisent au salarié le sentiment de ne servir à rien.
- Les mesures spécifiques de prévention du brown-out
Les besoins de sens du travail progressent à la fois du fait d'un individualisme croissant, et du fait de l'élévation générale du niveau d'études pour la plupart des employés : le caporalisme, la présence d'une hiérarchie pesante dans une organisation et des procédures rigides, sont de plus en plus mal acceptés par les jeunes générations, et nuisent à l'obtention d'une satisfaction et d'une motivation au travail. Le plaisir ressenti de faire une tache utile et/ou gratifiante sur un plan intellectuel, le sentiment d'accomplissement dans un travail adapté à ses capacités et à sa personnalité, le sentiment d'efficacité personnelle et d'estime de soi, améliorent le bien-être au travail et libèrent l’énergie.
De nouveaux modes d'organisation et de management tendent à favoriser la responsabilité et l'autonomie des collaborateurs par un fonctionnement plus horizontal en limitant la hiérarchie et les attributions et positions de pouvoir.
Les nouvelles formes d'organisation du travail veulent éviter la frustration des collaborateurs qui cherchent à mettre du sens dans leurs actions :
• en accordant plus d'autonomie, et donc de confiance,
• en éliminant les règles et consignes qui entravent la liberté d'action,
• en réduisant la ligne hiérarchique de tout ou partie de l'encadrement intermédiaire,
• en limitant les fonctions support et de contrôle.
Le système de gouvernance redistribue alors l'autorité et les prises de décisions : le manager devient animateur et facilitateur, pour accompagner et motiver ses équipes, tout en développant les compétences avec la formation nécessaire aux équipiers.
La prévention des atteintes à la santé mentale des harcèlements au travail
- La prévention du harcèlement moral au travail
Dans les entreprises, de nombreuses enquêtes font état d’une hausse constante de la fréquence et de l’intensité des facteurs de stress dues au harcèlement moral, avec des abus d’autorité totalement irrespectueux de la personne.
Le harcèlement moral individuel ou collectif (mobbing) peut être provoqué par des comportements pervers de responsables hiérarchiques ou de collègues, c'est-à-dire toutes les manœuvres effectuées de manière répétée et sur une certaine durée, ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de la personne.
Dans la pratique, savoir distinguer ce qui relève d’une pratique managériale excessive du harcèlement moral est parfois malaisé. Certaines formes d'organisations du travail provoquent par elles-mêmes le harcèlement et la violence au travail (management par la punition, la peur…). Toutefois, le stress du harcèlement moral individuel se distingue de celui lié aux mauvaises conditions de travail générales, car celles-ci concernent tous les salariés ; il se distingue aussi des avertissements ponctuels verbaux ou écrits à un salarié dans l’exercice normal de l’autorité hiérarchique, qui sont argumentés, qui portent sur des faits liés à l’exécution du travail et peuvent être discutés, réfutés par manque de preuve ou de pertinence.... Or, le harcèlement moral est ici le fait d’un supérieur hiérarchique (ou, rarement d’un collègue) ayant une personnalité obsessionnelle ou perverse dans un but gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir, et ces agissements ne visent pas à l’amélioration objective du travail. Mais il peut s’agir aussi de manœuvres conscientes d’intimidation pour obtenir la démission volontaire et contourner ainsi les règles du licenciement, et on se rapproche alors du harcèlement managérial.
Le harcèlement moral consiste à isoler le salarié, à le persécuter par la surveillance obsessionnelle de tous ses faits et gestes, à déqualifier sans raison son poste, à le surcharger ou au contraire à le sous-charger abusivement, à lui adresser constamment des reproches de type punitif visant sa personnalité, à exiger sans cesse des justifications, à afficher du mépris et à l’humilier publiquement ...
Il convient d'être attentif à tout indicateur qui pourrait révéler une situation de harcèlement : des conflits personnels répétés, la récurrence de plaintes de la part des salariés ou encore l'éclosion de violences physiques au sein de l'entreprise.
Certaines enquêtes mesurent jusqu’à 30% le nombre de salariés estimant avoir été harcelés au travail : cette fréquence impressionnante doit être nuancée compte tenu que le terme est flou et qu’il est difficile de cerner ce qui est la réalité des cas. Il n’y a pas de pathologie psychologique spécifique due au harcèlement puisqu’il s’agit d’un éprouvé subjectif, et des troubles paranoïaques (sentiments de persécution imaginaires) ou des menées manipulatrices à l’encontre d’un chef de manière à lui porter préjudice, peuvent invalider l’accusation de la personne se prétendant harcelée.
Toutefois, même en tenant compte de ces remarques, le phénomène semble très répandu, et on observe une multiplication des poursuites pénales au motif de harcèlement moral, qui posent souvent des problèmes complexes d’imputabilité et de réalité des plaintes avec pour conséquence l’aboutissement de peu de procédures : comme le harcèlement moral pose souvent de sérieux problèmes de preuves, il vaut mieux prévenir tout comportement harceleur par une politique de prévention qui en dissuade les auteurs potentiels, qui s’exposent à des sanctions nécessairement associées à une faute grave (mutation, suspension temporaire, voire licenciement).
La réalité croissante des atteintes à la santé psychique et de ses effets somatiques par le harcèlement moral (maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, troubles gastro-intestinaux, états d’anxiété et dépressifs…) constitue une alerte majeure de santé au travail, puisque beaucoup d’arrêts maladie en serait imputable, directement ou indirectement, et justifie une politique de prévention déterminée, obligation à la charge de l’employeur.
- La prévention du harcèlement sexuel au travail
Le monde du travail favorise les relations interpersonnelles liées à la sexualité, du fait de la proximité, de la mixité généralisée sur les lieux de travail, et les tentatives de séduction sont très fréquentes, au point que près du tiers des couples se formeraient sur les lieux de travail.
Des dérives dans les comportements, particulièrement du fait que le pouvoir hiérarchique permet d’exercer des contraintes, peuvent mener à du harcèlement sexuel : cet abus d’autorité, concrétisé par des menaces sur les conditions de travail, des actes de chantage à la promotion ou au licenciement, pour obtenir des faveurs sexuelles, relève clairement de harcèlement ; mais des attitudes plus discrètes non sollicitées en relèvent également, lorsque l’insistance des propositions sexuelles, les remarques répétées indécentes, les fréquentes approches corporelles déplacées ... créent un climat intimidant, outrageant, ceci même sans l’expression de menaces évidentes : le fait de ne pas disposer pour un(e) subordonné(e) de toutes les capacités pour repousser psychologiquement les approches sexuelles dans l’environnement du travail est constitutif de manœuvres de harcèlement sexuel.
Toutefois, il est malaisé de savoir distinguer du harcèlement sexuel caractérisé ce qui relève d’une simple tentative de séduction mal appréciée et non découragée explicitement, d’une dégradation orageuse de relations intimes auparavant consenties, d’une interprétation paranoïaque, d’une manipulation malveillante... D’autant plus que les autres salariés sont réticents à témoigner et à s’immiscer dans les méandres des intentions mouvantes des collaborateurs et collaboratrices de l’entreprise, sauf rares cas de perversité manifeste...
Néanmoins, les chefs d’entreprise ont l’obligation légale de prendre des mesures pour prévenir le harcèlement sexuel et le faire cesser rapidement si des cas se produisent.
Comme le harcèlement sexuel pose souvent de sérieux problèmes de preuves et de réalité des plaintes, il vaut mieux prévenir tout comportement harceleur par une politique de prévention qui en dissuade les auteurs potentiels, qui s’exposent à des sanctions nécessairement associées à une faute grave (mutation, suspension temporaire, voire licenciement) :
- dispositions relatives au harcèlement sexuel dans le règlement intérieur,
- mesures d’information de l’ensemble de l’encadrement et du personnel sur ce sujet, avec des messages clairs sur les agissements prohibés et qui indiquent que les personnes qui subissent un harcèlement sexuel ont le droit de se plaindre avec sanction des auteurs, et diffusion des procédures de plainte,
- modifications dans la composition des équipes et dans l’aménagement des bureaux et lieux de travail,
- réactions rapides du Chef d’entreprise ou de la Direction des Ressources Humaines sur les cas rapportés par la victime, par le médecin du travail, les représentants du personnel ... pour la mise en demeure de cesser ces agissements avant que ceux-ci ne dégénèrent et ne finissent par la saisie de la justice prud’homale : un processus précoce informel de traitement des plaintes est généralement très efficace.
Les risques organisationnels et leurs impacts sur la santé mentale au travail
L'entreprise évolue dans un environnement en constante évolution : celle-ci peut être brutale ou graduelle, volontaire ou imposée, mais dans tous les cas, la capacité d'anticipation et d'adaptation de l'entreprise, de son organisation et de ses collaborateurs, est un des facteurs clé de succès, ou tout simplement de survie …
Or, les structures des entreprises, surtout les plus grandes, ne sont pas spontanément préparées à une dynamique de changement, le phénomène bureaucratique et la résistance psychologique naturelle des collaborateurs sclérosant les réactions nécessaires d'adaptation et sanctuarisant la continuité et le fonctionnement actuel. Ainsi, les facteurs déclencheurs de changement créent souvent une véritable rupture, car il y a remise en cause de la manière d'agir des acteurs concernés. Certaines restructurations brouillent profondément les repères, et ces modifications touchent tous les niveaux de l'organisation du travail.
Un environnement en constante mutation oblige souvent les entreprises à de profondes évolutions dans leur appareil productif, des modifications dans leur catalogue de produits et/ou technologies utilisées, des changements dans les segments de clientèle desservie... qui créent souvent un changement d'organisation, de systèmes de gestion, d'outils et méthodes de production, de lieux de travail, un redéploiement d'effectifs,... d'où anxiété, sentiment de perte des repères, de savoir-faire ou de pouvoir : de profonds changements dans les organisations industrielles ou tertiaires, avec des transformations importantes des postes et méthodes de travail, sont anxiogènes et sources de risques psychosociaux fréquents. Il s'ensuit de nombreuses conséquences psychosomatiques gastro-intestinales (maux de ventre, ulcères d'estomac...) et cardiovasculaires (hypertension artérielle, palpitations cardiaques, cardiopathie coronarienne...) et des atteintes psychiques (crises d'angoisse et de dépression, troubles du comportement) chez les salariés.
De nombreux projets de réorganisation peuvent être considérés comme des échecs. Les raisons d'échec vont du projet abandonné suite à de violentes réactions des salariés (ou de leurs chefs !), aux nouveaux systèmes ou applications mal ou sous utilisés, à la non-adhésion des utilisateurs entrainant retards et surcoûts de mise en œuvre, ... : la qualité du processus de mise en œuvre du changement est aussi importante que la qualité intrinsèque du changement proposé, et le facteur humain représente une des principales causes d'échec des projets de réorganisation.
Les entreprises de services et les grandes administrations publiques sont les plus exposées aux difficultés de changement d'organisation du travail, car les salariés n'y sont pas culturellement préparés à une organisation rationalisée du travail et peuvent ressentir une perte du sens du travail bien fait au profit d'un travail vite fait, une division plus grande du travail dévalorisante, une instrumentalisation exclusivement technique des contributions, conduisant à une véritable souffrance au travail et éventuellement à une hyperactivité professionnelle pour tenir le rythme.
D'où l'intérêt d'accompagner le changement par une démarche globale et participative au niveau de l'entreprise, de ses managers et du personnel : c'est ainsi que l'entreprise peut faciliter l'acceptation des changements et réduire les facteurs de rejet. En effet, pour les salariés, ce changement parait le plus souvent imposé par la direction et il convient alors de gérer les résistances naturelles qui s'opèrent. Les routines, les relations hiérarchiques s'érigent en systèmes de valeurs que menace cette réorganisation. Les réactions de résistance à l'égard du changement s'expliquent par le fait que les opérateurs doivent quitter leurs zones de confort apparentes et s'aventurer vers de nouveaux contextes de travail, de nouvelles tâches et responsabilités, mobiliser de nouvelles compétences, apprendre de nouveaux comportements, adopter de nouvelles attitudes et, surtout, abandonner leurs habitudes. Si les conditions de travail privilégiaient jusqu'à présent la spécialisation des taches alors qu'on évolue vers plus de polyvalence et de flexibilité, que la nouvelle démarche de qualité suppose des contrôles par l'opérateur lui-même alors qu'il en était déchargé jusqu'alors,… les obstacles au changement s'accroissent, et il faut prévoir une formation sérieuse pour pallier les difficultés d'adaptation.
En particulier, ne pas gérer les conséquences de ces changements sur le personnel âgé, crée des situations d'inadaptation progressive, de résistances au changement énormes, de manque de productivité et de créativité pour l'entreprise, mais aussi la hausse de la fréquence des risques physiques et psychosociaux pour les seniors.
Les facteurs générateurs de stress revêtent une importance accrue chez les seniors : les changements sont plus anxiogènes pour les travailleurs âgés dans la mesure où ils sont synonymes de remise en cause d'un long passé professionnel ; ils contribuent à la perte des points de repère antérieurs ancrés depuis longtemps (spatiaux, temporels, comportementaux, relationnels) ; ils favorisent les interrogations sur soi, sa qualification, et ceci à un âge critique : peur de perdre son savoir-faire, son pouvoir, ses relations de travail habituelles, son lieu de travail quotidien etc.
Les évolutions managériales et techniques entrainent une remise en question des expertises des seniors qui peuvent ainsi être mis dans des situations d'autonomie excessive, voire en situation d'incompétence générant une forte déstabilisation personnelle.
Les effets du vieillissement portent aussi sur les fonctions cognitives, les capacités d'apprentissage sont réduites, à moins d'avoir été sollicitées régulièrement : d'où de réelles difficultés à s'adapter aux nouvelles technologies ou procédures au travers de la formation, et le développement de sentiments de frustration et d'échec conduisant à une démotivation, le tout dans un cercle vicieux de désinsertion professionnelle.
· Différentes méthodes de gestion industrielle, regroupées sous le terme de « Lean Manufacturing » ou « gestion de production au plus juste », apparues au Japon puis théorisées et complétés aux Etats-Unis dans les années 80, sont apparues dans les processus de fabrication de grands groupes industriels français à la fin du XXème siècle (automobile, aéronautique..), puis se sont diffusées plus largement et sont mises en œuvre désormais dans de nombreux secteurs manufacturiers et même dans les activités du secteur tertiaire (services informatiques, bancaires, hospitaliers…) avec le « Lean Office » pour améliorer la performance administrative.
Le Lean Manufacturing cherche à améliorer les processus de fabrication de manière continue en supprimant tous les types d'actes superflus et de gaspillages (stocks, attentes, défauts, …) et tous les mouvements de pièces, gestes et taches inutiles par des gestions en flux tendus et en sollicitant la réactivité, la polyvalence et la flexibilité des opérateurs qui sont amenés à s'impliquer dans l'élimination des "non-valeurs ajoutées". Quant au Lean Office, l'idée est de considérer un bureau comme une usine ou la production est administrative (factures, contrats, commandes, travaux comptables…) et à y transposer l'application des pratiques du Lean Manufacturing.
Augmentation de la productivité par réduction des couts et des délais et amélioration de la satisfaction au travail par développement de l'autonomie et de la participation du personnel, le Lean Management peut aussi détériorer les conditions de travail si elles sont mal mises en œuvre, appliquées de manière directive, sans concertation, par un changement brutal : l'intensification du rythme de travail et de charge mentale sans réelles marges de manœuvre aboutit alors à une recrudescence de troubles musculo-squelettiques et de risques psychosociaux.
Le Lean Management ne peut avoir de succès que lorsqu'il s'insère dans une culture d'entreprise prête à une telle transformation : l'état d'esprit et les comportements des managers disposés à laisser leurs subordonnés s'exprimer et prendre des initiatives, leur qualité d'écoute, un climat de travail sain et pas seulement court-termiste sont indispensables pour un tel changement d'envergure. A défaut, il faut envisager de renouveler les structures hiérarchiques trop autoritaires, strictement attachées aux décisions par voie descendante (top-down) et totalement rétives à l'inverse (bottom-up).
L'efficacité dépend de l'implication initiale de la hiérarchie, mais aussi du suivi des idées : la démarche d'innovation participative doit s'accompagner de véritables débats et de retours, à la fois dans l'application des suggestions et dans un système de récompense pour éviter des démarches participatives ressenties comme biaisées ou manipulées, au terme d'une concertation tronquée dans un cadre contraint de discussion ne permettant le débat que sur des activités ponctuelles, avec une autonomie seulement en apparence et des décisions prétendument consensuelles.
· Des salariés démotivés, un fonctionnement administratif et bureaucratique sclérosant, le modèle classique du système hiérarchique basé sur la verticalité est un système de gouvernance dont le manque de réactivité et d'agilité est de plus en plus critiqué, face à un monde économique, technologique et sociologique en très rapide évolution : l’ entreprise libérée, ce sont de nouveaux modes d'organisation et de management qui tendent à favoriser la responsabilité et l'autonomie des collaborateurs par un fonctionnement horizontal ou par projets en limitant voire en supprimant la hiérarchie et les attributions et positions de pouvoir.
La tendance générale de l'entreprise « libérée » est de faire évoluer les modes de management en donnant beaucoup d'autonomie et de responsabilité aux collaborateurs, d'alléger sensiblement les processus de décisions.
Différentes formes d'organisation, par projets, matricielle, collaborative, visent à remplacer partiellement l'organisation classique pyramidale de moins en moins adaptée aux entreprises et aux collaborateurs du XXIème siècle. En abolissant totalement l'ancien modèle hiérarchique, l'holacratie est le modèle expérimental le plus ultime prônant un mode d'organisation et de gouvernance horizontal basé sur la responsabilisation des salariés, s'appuyant sur une charte précise, avec un pouvoir de la prise de décisions appartenant aux seuls salariés, regroupés au sein d'équipes auto-managées. Ces formes organisationnelles ne sont plus expérimentales et se sont largement diffusées mais sont encore émergentes pour les entreprises holacratiques.
Les nouvelles formes d'organisation du travail veulent éviter la frustration des collaborateurs qui cherchent à mettre du sens dans leurs actions, en accordant plus d'autonomie, et donc de confiance, en, les règles et consignes qui entravent la liberté d'action. Mais, elles entrainent aussi parallèlement des effets pervers : des risques de déstabilisation, voire de fragilisation des individus, une organisation imposant un changement profond des habitudes, un stress et une anxiété dus à la hausse des responsabilités et de l'autonomie, au sentiment de perte des repères, de savoir-faire ou de pouvoir, des risques individuels liés à l'excès d'implication et d'engagement. Ces évolutions managériales entrainent une remise en question des expertises et les salariés peuvent ainsi être mis dans des situations d'autonomie excessive, voire en situation d'incompétence générant une forte déstabilisation personnelle : notamment, l'holacratie brouille profondément les repères, et ces modifications touchent tous les acteurs à tous les niveaux de l'organisation du travail.
Les impacts des nouvelles formes de travail sur la santé mentale au travail
Les frontières entre vie professionnelle et privée s'estompent pour de nombreux travailleurs et cette tendance s'affirme au fur et à mesure du développement des nouveaux modes de management et de la demande des employés qui privilégient autonomie, mobilité et flexibilité et de la croissance des possibilités technologies de l'information et de la communication (TIC) devenues omniprésentes dans le monde professionnel et qui permettent des connexions audiovisuelles et des transmissions de données aisées en tout temps et en tout lieu.
L'apparition de cette nouvelle forme de travail, le blurring, entraine un nouveau rapport des salariés avec leur travail et leur employeur : la notion de temps de travail devient floue, la délocalisation des activités et le travail à distance abolit le concept de présentéisme.
Le blurring induit de profondes modifications des conditions de travail et d'organisation dans les entreprises, favorables en terme de souplesse pour les tâches personnelles et l'autonomie, mais comportant des risques pour la santé physique et morale des salariés : perte des limites entre vie professionnelle et privée, stress chronique lié à des contrôles ou objectifs excessifs et à une disponibilité permanente se substituant à la présence sur un lieu de travail fixe et aux horaires précis, interactivité obsessionnelle et surcharge informationnelle menant à un excès de charge mentale : à mesure de la tertiarisation de l'économie et du fait que les tâches administratives, intellectuelles et relationnelles deviennent de plus en plus nombreuses et primordiales, on assiste à une intensification de la charge mentale qui est provoquée par ces nouvelles technologies informatiques et l'exigence de disponibilité constante partout par le truchement du téléphone ou de l'ordinateur portables, ce qui risque de devenir la norme.
Accepter de la souplesse dans les rythmes et les lieux de travail nécessite en contrepartie plus de contrôle mais négocié et accepté par les employés avec des règles claires de fixation et de contrôle de l'activité : le blurring ne doit pas être subit et imposé.
Un nouveau concept, la phygitalisation, concerne le monde du travail et se développe dans les entreprises, qui s’en trouveront totalement transformées : il repose sur l’hybridation du travail, c’est-à-dire, fusion du monde physique et du monde numérique digital, avec ses conséquences fondamentales sur l’organisation du travail, les espaces de travail, le temps de travail et les pratiques managériales, avec la naissance d’une nouvelle culture d’entreprise.
La phygitalisation répond à la demande à la fois des employés qui privilégient autonomie, mobilité et flexibilité, et recherche d’une meilleure qualité de vie au travail, et aussi à celle du management pour augmenter motivation, responsabilité et esprit d'initiative des salariés, conjuguées aux possibilités accrues des technologies de l'information et de la communication (TIC).
L’enjeu n’est pas seulement de mettre en œuvre le télétravail avec une préparation matérielle et un accompagnement satisfaisants, mais aussi de mettre en place des pratiques managériales innovantes avec le développement d’une culture d’entreprise en adéquation avec cette nouvelle organisation du travail, par exemple la possibilité de travail collaboratif multi-métiers, multi-sites … Les pratiques liées à l'organisation du travail, les types d'organisation et de contrôle doivent évoluer avec l'autonomie au travail des salariés phygitalisés.
Au manque de maîtrise des processus de conduite de changement que requiert la phygitalisation, des menaces de nature psychosociale pèsent sur la phygitalisation de l’entreprise :
- critiques de manque de frontière entre vie professionnelle et vie privée,
- éloignement du soutien du collectif de travail,
- inquiétudes sur le rôle et l’autorité du management intermédiaire et de l’encadrement de proximité,
- conflits d’inégalités de traitement entre salariés pouvant télétravailler et les autres,
- parcellisation des tâches avec la subdivision du travail,
- excès de surveillance de la quantité et la qualité de travail à distance,
- tensions liées aux accidents du travail à domicile, à la durée de travail, au droit à la déconnexion,
- conséquences des fuites et manipulations de données confidentielles facilitées par les failles de sécurité d'accès aux différents réseaux d'entreprise,
- etc.
Dans ce nouveau monde de la phygitalisation en plein développement, les mesures préventives doivent prendre en compte l’accentuation possible des risques psychosociaux induits : la prévention du stress et des atteintes à la santé mentale liées à la phygitalisation relève de mesures organisationnelles, en repérant et en éliminant les pratiques abusives que notamment le travail à distance peut générer.
La pression incessante des TIC pousse à une fébrilité d'actions et de décisions immédiates, parfois plus liées à des réactions au stress qu'au résultat d'une réflexion sérieuse.
De nombreux éléments mettent en évidence les effets pathogènes de la surcharge mentale du télétravail : le stress, le workaholisme et l'épuisement professionnel (burn-out) sont les conséquences néfastes des surcharges mentales. Une véritable addiction au travail, le workaholisme (par analogie au work alcoholism), ne penser qu'au travail et fuir les autres aspects de la vie, a un rapport de dépendance aux TIC du télétravail : cela correspond à un investissement excessif dans son travail et à une négligence de sa vie extraprofessionnelle, addiction comportementale dont certains facteurs de risque peuvent être liés à l'organisation du travail hybride. Ses conséquences sont délétères (ulcères, infarctus, AVC, diabète, obésité …) avec un risque d'évolution vers un syndrome d'épuisement professionnel (burn-out). Le workaholique ressent une pression interne le contraignant à travailler, une angoisse de ne pas travailler. D'autres addictions s'associent souvent au workaholisme comme l'alcoolisme, le tabagisme, la consommation excessive de substances psychotropes médicamenteuses (antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères) ou de stupéfiants. Cet état pathologique de dépendance au travail peut avoir des conséquences très néfastes sur la personne et/ou sur son entourage professionnel ou familial.
Pendant la crise sanitaire 2020-2021 du covid-19 et des périodes de confinement, la plupart des salariés du secteur tertiaire a été contraint d’adopter le télétravail au moins à temps partiel, dans la grande majorité sans expérience préalable. Cela a permis d’analyser à grande échelle les impacts de cette pratique et leur adaptation à ces nouvelles conditions de travail : environ le tiers des télétravailleurs déclare que cela a eu des impacts négatifs sur leur santé physique et mentale ! L’insatisfaction domine donc pour beaucoup de salariés qui souhaitent abandonner ou fortement réduire cette pratique du télétravail. Le télétravail nécessite une préparation et un accompagnement pour être une réussite. Dans les épisodes de confinement, pour beaucoup, ce n'est pas à proprement parler de télétravail dont il s’agit, mais de travail à domicile en mode dégradé ! En effet, il faut prendre en compte l’inadaptation du matériel de télétravail ou du bureau à domicile qui peut engendrer des risques physiques (musculosquelettiques, visuels, électriques...) liés à leur mauvaise ergonomie ou à une installation défectueuse et les risques psychologiques sont aussi très importants : perte des limites entre vie professionnelle et privée, affaiblissement des relations interpersonnelles ...
L’absence de conciliation vie au travail / vie privée et l’absence d’intégration à l’entreprise sont possiblement porteuses de mal-être au télétravail. Les femmes, devant arbitrer entre vie professionnelle et familiale, sont tout particulièrement concernées : c’est alors paradoxal dans la mesure où par ailleurs, le télétravail limite les déplacements professionnels et fait ainsi gagner du temps, offre une plus grande autonomie, ce qui souligne le caractère ambivalent du travail à distance.
Dans ce nouveau monde du télétravail en plein développement, les mesures préventives doivent prendre en compte à la fois les risques physiques, essentiellement de nature ergonomique, mais aussi l’accentuation possible des risques psychosociaux induits : la prévention du stress et des atteintes à la santé mentale liées au télétravail relève de mesures organisationnelles, en repérant et éliminant des pratiques abusives que le travail à distance peut générer, si elles ne sont pas maîtrisées et encadrées.
Du fait de l’abolissement à la fois en durée et distance de la mise à disposition de données, de l’autonomie dont jouit le télétravailleur, le travail à distance induit de nouveaux lieux et temps de travail disséminés pouvant nuire à la construction de la cohésion sociale, à l’isolement et à l’affaiblissement du soutien social par individualisme professionnel, avec diminution des communications réelles en face à face au profit de communications virtuelles par écran interposé. Il convient ainsi de mettre en œuvre des mesures de prévention spécifiques au télétravail avec des recommandations ergonomiques pour l'installation d'un bureau à domicile, la conservation du lien social, la gestion du temps et de la charge de travail, le nouveau rôle du manager...
Dans un tel contexte, le développement du management par la confiance doit se substituer progressivement au traditionnel management hiérarchique pour éviter de multiples tensions relationnelles et déviances comportementales de chaque partie. La phygitalisation du travail, en accordant plus d’autonomie, et donc plus de confiance, en supprimant les règles et consignes du travail en présentiel, entraine aussi parallèlement des effets pervers : des risques de déstabilisation, voire de fragilisation des individus, une organisation imposant un changement profond des habitudes, un stress et une anxiété dus à la hausse des responsabilités et de l'autonomie, au sentiment de perte des repères, de savoir-faire ou de pouvoir, des risques individuels liés à l’excès d’implication et d’engagement. Ces évolutions entrainent une remise en question des expertises et les salariés peuvent ainsi être mis dans des situations d'autonomie excessive, voire en situation d'incompétence générant une forte déstabilisation personnelle : perte des atouts de la communication interpersonnelle en face à face, perte des apports du collectif de travail (information, expérience), peu de soutien social du travail en distanciel.
Pour éviter ce mal-être, il convient ainsi de mettre en œuvre des mesures de prévention spécifiques à la phygitalisation concernant la conservation du lien social, la gestion du temps et de la charge de travail, la cybersécurité et le nouveau rôle du manager qui doit changer de mode d'animation et de conduite des individus et des équipes.
Il convient notamment de mettre en œuvre des mesures de prévention spécifiques au blurring (droit à la déconnexion) avec des recommandations sur la gestion du temps et de la charge de travail et des règles, claires, connues et partagées de fixation et de contrôle de l'activité, permettant d'avoir un cadre de référence commun.
Pour aller plus loin :
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La notion de charge mentale au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-notion-de-charge-mentale-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention du stress au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-du-stress-au-travail-266
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : L'amélioration de la qualité de vie au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/lamelioration-de-la-qualite-de-vie-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention des risques des nouvelles formes de travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-des-risques-des-nouvelles-formes-de-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention des risques de la phygitalisation de l’entreprise (partie 1 et partie 2) : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-des-risques-de-la-phygitalisation-de-lentreprise-partie-1 et https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-des-risques-de-la-phygitalisation-de-lentreprise-partie-2
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention des risques psychosociaux des changements d'organisation du travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-des-risques-psychosociaux-des-changements-dorganisation-du-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : Les risques organisationnels du Lean Management sur la santé au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/les-risques-organisationnels-du-lean-management-sur-la-sante-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : Les risques psychosociaux des nouvelles structures organisationnelles des entreprises : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/ergonomie-au-poste-de-travail/les-risques-psychosociaux-des-nouvelles-structures-organisationnelles-des-entreprises
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : Les risques psychosociaux des conflits de valeur au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/les-risques-psychosociaux-des-conflits-de-valeur-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : FORMATION CONSEILS > FORMATION CONTINUE À LA SÉCURITÉ > CONDITIONS DE TRAVAIL ET SATISFACTION AU TRAVAIL : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/formation-continue-a-la-securite/conditions-de-travail-et-satisfaction-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention du harcèlement sexuel au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-du-harcelement-sexuel-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention du harcèlement moral au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-du-harcelement-moral-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : FORMATION CONSEILS > FORMATION CONTINUE À LA SÉCURITÉ : Les facteurs et les modèles de la qualité de vie au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/formation-continue-a-la-securite/les-facteurs-et-les-modeles-de-la-qualite-de-vie-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : ORGANISATION ERGONOMIE > PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL : La prévention des risques psychologiques au travail par les techniques de coping :
- OFFICIEL PREVENTION : FORMATION CONSEILS > FICHES MÉTIER : LA PRÉVENTION DES RISQUES DU TÉLÉTRAVAIL : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/fiches-metier/la-prevention-des-risques-du-teletravail
AVRIL 2023
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