L’analyse comportementale est négligée souvent au profit de l’analyse de prévention technique traditionnelle. Pourtant, l’implication des employés est à la base de la culture sécuritaire : leurs comportements à risque sont à la source d’accidents, même si le poste de travail possède des dispositifs de sécurité et malgré de bonnes conditions de travail. Plusieurs modèles théoriques et empiriques ont été conçus, pour mieux comprendre les facteurs humains qui sont impliqués dans les erreurs et accidents.
Pour créer une culture de sécurité au travail affermie, il y a nécessité d'une meilleure prise en compte des facteurs comportementaux dans une démarche globale efficace de prévention des risques professionnels, et cet aspect n’est pas toujours suffisamment considéré par les préventeurs : l’analyse comportementale est négligée souvent au profit de l’analyse de prévention technique traditionnelle.
Pourtant, l’implication des employés est à la base de la culture sécuritaire : leurs comportements à risque sont à la source d’accidents, même si le poste de travail possède des dispositifs de sécurité et malgré de bonnes conditions de travail.
Plusieurs modèles théoriques et empiriques ont été conçus, pour mieux comprendre les facteurs humains qui sont impliqués dans les erreurs et accidents.
Les « erreurs humaines » sont souvent révélées lors des expertises des accidents, ce qui confirme la nécessité d’une meilleure prise en compte des aspects comportementaux, en développant la perception des risques des travailleurs, leur sensibilisation, leur responsabilisation et leur implication lors des observations et des feedback.
Prise en compte progressive des facteurs humains en Sécurité du Travail
C'est un des aspects de management des ressources humaines important que de prendre en compte, au-delà des aspects techniques (dispositifs de sécurité, équipements de protection collective et individuelle, métrologie …) et organisationnels (style de management …), les facteurs humains et comportements des employés dans les stratégies de maîtrise des risques : en effet, la perception des risques, entre autres éléments psychologiques, intervient dans l'acceptation et l'adhésion à ces stratégies d'action.
Après avoir mis en œuvre des mesures techniques pour améliorer la fiabilité du machinisme industriel (composants puis équipements réparables) et généraliser les opérations de maintenance préventive tout au long du XXème siècle, la démarche de sécurité au travail a mieux pris en compte l’erreur humaine qui se voit désormais attribuer une large part de responsabilité dans la survenue des accidents du travail, puisque les défaillances techniques ont fortement été réduites. En effet, face à un danger imminent, il faut décider très vite avec un flux d'informations important et crucial : on ne dispose pas de la capacité de traiter sereinement toute cette information et les réflexes et les forces de l'irrationnel et, en particulier, de l'émotion, deviennent prégnantes. La rationalité n’est plus alors absolue et objective mais elle est empreinte de subjectivité et de relativité. Ainsi, en matière de sécurité dans un environnement de travail complexe, les travailleurs ne peuvent avoir qu’une connaissance imparfaite des multiples contraintes et des nombreux choix possibles : on agit alors plus souvent sous l’influence des intuitions et des émotions que de la réflexion rationnelle, avec des comportements souvent inadéquats et soumis à biais cognitifs. Cette « rationalité limitée » aboutit alors à des erreurs et des accidents du travail.
Mais, la perturbation de la sécurité industrielle est aussi due aux interactions du travailleur avec son environnement de travail. Ainsi, si l’opérateur humain est l’élément fondamental et central de la performance sécuritaire, les conditions organisationnelles font partie d’une conjonction de facteurs multiples dans un système associant étroitement les hommes et les machines. Les phénomènes accidentels ne peuvent s’expliquer seulement en restant au stade des processus comportementaux du facteur humain et l’accident de travail devient également le résultat d’une mauvaise adaptation de l’opérateur aux contraintes organisationnelles.
Les modèles théoriques comportementaux de la sécurité au travail
Plusieurs modèles théoriques et empiriques ont été conçus, pour mieux comprendre les facteurs humains qui sont impliqués dans les erreurs et accidents.
J.B. Watson (« Behavior : an introduction to comparative psychology », 1914) a été un pionnier dans l’étude scientifique du comportement et est le fondateur du béhaviorisme : un comportement disparait si l’individu n’y trouve pas d’intérêt ou si il est sanctionné par une réprimande et, à l’inverse, il va se renforcer si l’individu y trouve satisfaction et si il est encouragé par une récompense.
Les modèles modernes comportementaux à la disposition des préventeurs sont nombreux et ils proposent plusieurs approches parmi lesquelles le modèle néo-béhavioriste « ABC » de SKINNER et le modèle plus récent « SRK » de RASMUSSEN.
- Le comportement opérant rétroactif ABC de SKINNER
Ce modèle néo-béhavioriste se base sur l’approche pavlovienne du conditionnement répondant, c’est-à-dire un comportement conditionné par un renforcement positif. Le modèle ABC (ou SRC) explique les comportements humains (Behavior) selon deux déterminants : les Antécédents et les Conséquences (B.F. Skinner "The science of learning and the art of teaching" 1954). Le façonnement du comportement est le résultat « stimulus, réponse et renforcement (positif ou négatif) » , avec rétroaction dans une boucle d’apprentissage progressif du type « récompense ou réprimande ».
– ANTÉCÉDENTS : événements et les conditions qui prévalent avant le comportement analysé ;
S = stimuli provenant de l'environnement
– BEHAVIOR : comportement en réponse
R = la réponse de l'individu aux stimuli
– CONSEQUENCES
C= les conséquences positives ou négatives pour l'individu de son comportement. En SST, accidents ou presqu’accidents du travail.
Une conséquence est un renforcement incitatif si elle augmente la probabilité de survenue du comportement précédent, ou est une sanction inhibitrice si elle diminue la probabilité de survenue du comportement précédent.
Un comportement opérant positif se maintient dans le temps car il produit l’apparition de conséquences positives pour l’individu ; réciproquement un comportement qui ne produit pas de conséquences positives pour l’individu disparait peu à peu.
Le comportement opérant permet à l'individu d’anticiper peu à peu les conséquences de son comportement à la suite du stimulus. L'individu peut modifier son comportement et l'adapter afin d'obtenir ou d'éviter les conséquences à son comportement. Il y a une boucle de rétroaction, dans laquelle la réponse de l'individu va se modifier à mesure qu'il identifie, même inconsciemment, le processus S-R-C.et ceci est à la base des apprentissages qui expliquent les comportements sécuritaires : en effet, les conséquences modifient les comportements futurs de l'individu d'où le lien entre béhaviorisme et apprentissage.
Cette méthode ABC néo-behavioriste, stipulant qu’un comportement est un apprentissage résultant de l'apparition d'une conséquence positive (récompense) ou négative (sanction) à la suite d'un comportement donné, n’est pas totalement délaissée, bien que considérée aujourd’hui simpliste, réductrice et caricaturée en méthode bâton / carotte.
- La démarche opératoire cognitive SRK de RASMUSSEN
Le modèle SRK (Skills, Rules and Knowledge : signals, signs, and symbols, and other distinctions in human performance models, 1983) de J. Rasmussen examine les comportements humains à partir de trois niveaux de contrôle : les automatismes, les procédures, les connaissances.
- Les actes routiniers résultent du comportement machinal, comportement dominant basé sur les habitudes et habiletés (Skill based behavior), exécutés de manière pratiquement automatique ( comportement sensorimoteur). Ce sont des gestes acquis, effectués sans réflexion préalable : c’est la situation normale, l’opérateur utilise ses routines de travail et en cas d’incident familier, l’opérateur identifie et traite les problèmes sur la base de ses compétences professionnelles quasi-inconscientes. Ce niveau de fonctionnement permet d’effectuer un travail au moindre coût cognitif : plus le comportement est machinal, plus l’activité se déroule sans avoir besoin de ressources. Le risque associé est l’erreur d’inattention, le raté. Si la personne n’a pas les compétences et/ou capacités pour faire face, elle peut diminuer son sentiment de peur par du déni du danger ou par du fatalisme.
- Les actes répondant à des consignes (comportement procédural) , nécessitent une activité mentale consciente, car il n’y a pas de réponse automatique à un signal ; l’opérateur doit se conformer aux règles et instructions données (Rule based behavior). Il s’agit d’activités banales où les actions sont régies par la mise en œuvre de procédures bien connues. Les comportements s’appuient sur des règles apprises auprès de superviseurs ou d’opérateurs formateurs, des expériences antérieures ou transmises par les pairs. Le risque associé est d’activer une règle inadaptée à la situation dans le cas d’incidents non familiers, ou une faute d’interprétation ou d’inobservation des règles ou omissions volontaires. Les comportements n’étant plus automatiques, les erreurs seront presque toutes éliminées jusqu’à ce que les consignes, devenues routinières, génèrent des erreurs d’inobservation des règles, des oublis, ...
- Les actes basés sur la connaissance, la réflexion ( comportement cognitif) , exécutés après une interprétation réfléchie des différents signaux, un diagnostic et la prise en compte des diverses alternatives possibles (Knowledge based behavior). Ces actes supposent donc une très bonne connaissance du processus considéré et l’aptitude à interpréter des signaux inhabituels. Dans le cas d’incidents non familiers, l’opérateur peut construire un modèle mental de la situation pour faire un diagnostic et choisir une option. Le risque associé réside dans les erreurs de possession de connaissance, de conception du système. C’est un comportement lent et qui requiert beaucoup de ressources mentales.
Ce modèle prend bien en compte que la sécurité au travail est souvent compromise par le peu d’habileté de l'opérateur à s'adapter à des conditions nouvelles et non familières. Les événements non anticipés ne peuvent être évités au moyen de procédures (R), ou d’automatismes (S). Un système sociotechnique fondé uniquement sur des scénarios connus perd de sa validité, de sa pertinence du fait de son manque de flexibilité à faire face aux événements imprévus, car les opérateurs ne sont pas censés connaitre les principes sous-tendant un système de contrôle basé sur des règles et encore moins sur des automatismes opératoires. Le type de contrôle cognitif (K) doit être employé lorsque la situation est possiblement nouvelle et inattendue. Les opérateurs doivent alors connaitre les principes et variables du système pour établir des objectifs et choix explicites guidant leurs décisions et sélectionner une séquence d'action dans cette situation de travail non familière à partir de leur analyse du système.
Les comportements de type S sont prépondérants dans l’artisanat.
Les comportements de type R sont basés sur l’application de contrôles serrés quant au respect des règlements et des procédures et sont prépondérants dans les organisations qui s’inspirent du taylorisme qui vise à fractionner et à contrôler chaque étape du processus de production pour éviter les écarts : la structure fonctionnelle hiérarchique correspondante a été bien adaptée à un environnement stable dans le domaine industriel. Une grande centralisation et bureaucratisation, une rigidité et un immobilisme excessifs, un manque d'autonomie et de responsabilisation des collaborateurs des échelons inférieurs, des difficultés de communication interne, un contrôle tatillon, sont liés souvent à ces formes de structure et à ces types de management. Or, plusieurs facteurs, sociologiques, économiques et technologiques, concourent à faire évoluer ces organisations de travail qui étaient la norme au milieu du XXème siècle, pour s'adapter.
Désormais, la capacité des entreprises à changer rapidement et à entrainer leurs équipes pour répondre aux évolutions de l'environnement, se présente de façon impérative : il s'agit d'impulser, d'organiser et de maîtriser l'adaptation de l'entreprise aux modifications de l'environnement économique ou concurrentiel et confrontée à des exigences en matière d'anticipation et de réactivité face aux évolutions du marché, bien plus rapides qu'auparavant. La formalisation excessive et généralisée des procédures de travail nuit alors à l'adaptation rapide aux nouveaux contextes : le manque de réactivité face à un monde très évolutif, lié aux systèmes hiérarchiques rigides, est un élément essentiel d'obsolescence des modèles d'organisation strictement verticale et crée des exigences relationnelles, de disponibilité, d'engagement d'équipes agiles, réactives.
Par ailleurs, les besoins d'autonomie progressent aussi à la fois du fait d'un individualisme croissant, et du fait de l'élévation générale du niveau d'études pour la plupart des employés : le caporalisme, la présence d'une hiérarchie dans une organisation et des procédures rigides, sont de plus en plus mal acceptés par les jeunes générations, et nuisent à l'obtention d'une satisfaction et d'une motivation au travail.
Tous ces facteurs concourent au développement de comportements de type K, avec le degré d'autonomie qui correspond à la possibilité de choisir les modes opératoires et à la capacité à peser sur les décisions (latitude décisionnelle).
• Attitudes et comportements
Chaque individu est doté de sa personnalité propre qui induit des attitudes venant impacter et moduler les comportements-type :
- Le contestataire critique l’autorité hiérarchique et juge inutiles et inefficaces la formation et les procédures : dangereux dans le comportement procédural R
- L’impulsif apporte à un problème une solution rapide mais insuffisamment réfléchie, souvent inadaptée : dangereux dans le comportement cognitif K
- L’invulnérable sait que le risque d'accident ou d'erreur existe, mais adopte une fréquente prise de risques, souvent par bravade : mise en défaut de la méthode SRC !
- Le résigné est adepte de l’« aquoibonisme » : dangereux fatalisme dans le comportement machinal S, totalement inadapté dans le comportement cognitif K
La typologie des erreurs humaines
Les erreurs peuvent être patentes ou latentes. Les erreurs patentes produisent rapidement et directement des effets sur le processus. Les erreurs latentes ne se manifestent que lorsqu'elles sont activées par un concours de circonstances.
Les erreurs humaines sont de plusieurs natures : par omission d'une étape ou d'une tache, par choix d'un mauvais dispositif ou commande, par séquence erronée dans l'exécution des différentes tâches, par déclenchement tardif ou prématuré d'un processus, par échec de la bonne exécution d'un travail …
L’erreur humaine est un écart relatif à une intention ou un écart relatif à une norme qui empêche l’obtention d’un résultat voulu par une procédure, par suite d’un comportement involontaire ou délibéré :
- Le comportement involontaire : il y a un déficit au niveau des contrôles dû à des facteurs extrinsèques (interruption de tâches, suractivité…) ou intrinsèques (fatigue, stress, distraction …).
- l’action ne se déroule pas comme prévu : Erreur de routine, inattention, raté du comportement machinal.
- l’action n’est pas exécutée : omissions, oublis du comportement procédural.
- Le comportement délibéré : il y a un déficit au niveau d’acquisition, information, formation.
- La règle originale est inadaptée : erreur de règle du comportement procédural, erreur de connaissance et de conception du comportement cognitif.
- la règle n’est pas respectée : fautes du comportement procédural (négligence, transgression), erreur de perception ou représentation mentale de la situation du comportement procédural ou cognitif
La perception du risque
Les « erreurs humaines » sont souvent révélées lors des expertises des accidents : ces erreurs humaines témoignent très souvent d'une mauvaise perception des risques qui est souvent affectée d'un certain nombre de biais perceptifs et ces illusions sont susceptibles d'affecter inconsciemment le comportement vis-à-vis de la sécurité et de la motivation à la propre protection du travailleur, ce qui est impossible à prendre en compte dans une démarche a priori. Identifier les comportements à risque les plus fréquemment adoptés par les employés est alors l'apport des observations et des feedback du retour d'expérience.
Par exemple, la propension à favoriser les éléments qui confirment ses idées et/ou à accorder moins de poids aux éléments jouant en défaveur de ses conceptions, la confiance excessive en ses savoirs, un raisonnement qui se fonde uniquement ou principalement sur les informations immédiatement disponibles, sont souvent à l’origine des erreurs humaines.
Identifier (et éviter !) des biais cognitifs qui influencent la perception des risques comme le niveau de prise de risque est essentiel, car ces biais expliquent des comportements irrationnels face aux risques et impactent directement et profondément la sécurité au travail, car ils altèrent très souvent le raisonnement logique du fait qu’ils sont la conséquence systématique de l’universelle rationalité limitée.
Parmi les biais les plus fréquents :
- Biais de confirmation : tendance à favoriser l’information connue ou l’idée admise et à ne pas la remettre en question même si les conditions changent.
- Biais de normalisation du danger : les risques connus depuis longtemps deviennent la norme et on ne s’en préoccupe plus ou pas assez (fatalisme).
- Biais d’engagement : renoncement à formuler des jugements ou critiques sur les mesures de prévention, se contentant d’obéir aux instructions ou aux procédures existantes.
- Biais d’évidence : adoption de solutions commodes, disponibles, faciles à justifier et à mettre en œuvre, utilisées habituellement (imitation du comportement).
- Biais de dotation : conservation des moyens de protection existants plutôt que d’en changer, malgré leur inefficacité partielle (ou totale !).
- Biais de supériorité : confiance excessive dans son professionnalisme et son expérience.
- Biais de l’autruche : ignorer ou minimiser les menaces, comme si le fait d’ignorer le problème pouvait le faire disparaître.
- Biais de répétition : ce qui est répété et familier depuis longtemps est la vérité.
La maîtrise des risques ne peut donc pas se concevoir sans prendre en compte la perception que les personnes concernées en ont. En effet, on a pu remarquer que, même si on informe les individus sur les risques auxquels ils peuvent être confrontés et si on leur donne les moyens d’y faire face, ces derniers n'en changent pas forcément leurs comportements, en continuant de ne pas porter certains équipements nécessaires à leur protection comme las casques ou lunettes de sécurité par exemple.
C’est pourquoi, partir du principe qu'une fois l'information et la formation sont donnés, les comportements de sécurité s'effectueront de manière appropriée n’est pas du tout certain.
La prévention des risques, par de l’information, de la répression, peut n’avoir que peu d’effet ou des effets pervers parce que les travailleurs adoptent souvent des attitudes de déni du risque pour eux- mêmes, ou que le flot d’éléments sur les dangers ont suscité chez eux un certain fatalisme ou un relativisme face aux risques. De même, la perspective de sanctions vis à vis des manquements aux consignes de sécurité peut générer des conséquences néfastes comme la dissimulation des sources de dangers.
Ainsi, une étude de la perception et de l’évaluation subjectives des dangers, dans les stratégies de maîtrise des risques, est importante : en effet, la perception des risques intervient dans l’acceptation et l’adhésion à ces stratégies d’action.
L’approche comportementale
La difficulté de prévenir les risques comportementaux est grande : elle nécessite une intervention de spécialistes le plus souvent provenant de cabinets de conseil qui ont développé des méthodologies adéquates et éprouvées.
La première difficulté réside dans le fait qu’un directeur d’usine, par exemple, n’a pas toujours l’habitude de se référer à des intervenants susceptibles de remettre en cause ses pratiques organisationnelles et comportementales. Le premier préalable est donc que le management lui-même soit persuadé de créer la dynamique requise pour nourrir un processus d’amélioration et il convient de connaître sa propre perception du risque et son implication dans la maîtrise de la sécurité.
La deuxième difficulté réside dans le fait que tous les différents acteurs de l’entreprise doivent être impliqués : le développement d’une conscientisation de chacun au sein de l’entreprise est nécessaire et tous les acteurs doivent comprendre à la fois qu’il ne sert à rien de veiller à la sécurité si celle-ci ne s’applique pas à l’ensemble de la chaîne, et que ce sont tous les opérateurs qui, individuellement et in fine, sont responsables de leur propre sécurité et qu’ils doivent en être profondément convaincus.
Cette démarche d’appropriation signifie que les bonnes pratiques de sécurité seront d’autant plus appliquées que les opérateurs auront été associés à leur élaboration.
Des techniques d’animation sont utilisées pour amener un groupe d’opérateurs à travailler sur des cas concrets d’accidents survenus dans l’entreprise et à identifier les bonnes pratiques qui auraient pu les éviter pour permettre à chacun des membres du groupe de travail d’être sensibilisé personnellement à la sécurité, de prendre conscience, exemples à l’appui, des conséquences résultant de l’absence de mesures de prévention adéquates.
L’observation réciproque de ses comportements par ses collègues de travail, guidée par l’animateur, permet une émergence collectivement partagée des comportements surs et de ceux à risques. Ce dialogue positif sur les gestes sûrs et à risque permet de valoriser les gestes sécuritaires, et, a contrario, de stigmatiser ceux qui ne le sont pas. On parvient à un accord sur le risque et ses conséquences, c’est à dire à une perception collective moins biaisée par les jugements personnels.
Cette évolution de la perception du risque entraîne la prise de conscience de la nécessité de modifier son comportement. Il faut alors accompagner les participants pour qu’ils identifient les causes du comportement à risque et qu’ils expriment leurs idées pour entreprendre des actions correctives.
Les changements de comportements sécuritaires
En modifiant les comportements, on peut évidemment réduire le nombre d’accidents du travail : adopter des comportements de prudence (respecter et appliquer les règles de sécurité comme porter les équipements de protection individuelle), des comportements d’initiative pour la sécurité (suggestions pour éviter un danger, partager des savoir-faire de prudence), nécessite souvent de modifier la perception du risque pour modifier le comportement.
L’objectif est de mettre en évidence le risque, les dangers encourus ainsi que les moyens de prévention. Cela passera par de la sensibilisation, de la formation, de la communication écrite ou visuelle …
Faciliter les meilleurs choix sécuritaires par les travailleurs et les amener à prendre les meilleures décisions en matière de mesures préventives nécessite des changements de comportements qui peuvent être opérés par différentes méthodes destinées à lutter contre les biais négatifs par rapport à la prévention.
Lorsqu’on tente d’éliminer les erreurs humaines, il convient de se demander si elles sont liées à un comportement machinal, procédural ou cognitif. En effet, les remèdes à appliquer ne seront pas les mêmes dans tous les cas. Par exemple, les actions au niveau procédural R peuvent être les suivantes : la formation aux risques et à la SST, la modification du comportement par la sanction ou la récompense, l’établissement de consignes plus précises.
- Le développement d’une conscientisation des risques
C’est un des aspects important que de prendre en compte la perception et la sensibilisation des employés dans les stratégies de maîtrise des risques : en effet, la perception des risques intervient dans l’acceptation et l’adhésion à ces stratégies d’action. Il s’agit de rendre les salariés de l’entreprise à la fois conscients des enjeux et acteurs, de susciter un état d'esprit sécuritaire partagé, face à un enjeu consensuel ressenti comme important, l’élimination ou la réduction des risques professionnels fréquents.
En matière de sécurité, il y a plusieurs stades de prise de conscience : paradoxalement, les travailleurs ne se sentent pas d’emblée totalement concernés et agissent plus par instinct (comportement machinal S), ce qui est notoirement très insuffisant. La réflexion sur la prévention est surtout ressentie comme une perte de temps. Puis, la sécurité s’apparente à l’obéissance, elle est le fruit d’une contrainte réglementaire et autoritaire. Les travailleurs pensent que la sécurité consiste à suivre nonchalamment les règles élaborées par la hiérarchie, et se limitent le plus souvent à une vague lecture des consignes (comportement procédural R). Ensuite, ils prennent conscience que les enjeux de la sécurité sont importants pour leur santé et leur sécurité et qu’ils peuvent améliorer la situation aussi par leurs propres actions, ce qui réduit davantage le nombre d’accidents. Enfin, les salariés sont dans l’appropriation. Ils appréhendent la sécurité comme une question collective et discutent activement avec les autres pour comprendre leur point de vue. Au fur et à mesure des niveaux, le risque global diminue et la culture de la sécurité s’améliore.
Cette démarche d’appropriation signifie que les bonnes pratiques de sécurité seront d’autant plus appliquées que les opérateurs auront été associés à la réflexion. Créer des espaces de dialogue pour favoriser la compréhension est un des meilleurs moyens de développer la culture de sécurité : le « quart d’heure sécurité » est alors une technique d’animation utilisée pour amener un groupe d’opérateurs à travailler sur des cas concrets et pour identifier les bonnes pratiques, pour permettre à chacun des membres du groupe d’être sensibilisé personnellement à la sécurité, de prendre conscience, exemples à l’appui, des conséquences résultant de l’absence de mesures de prévention adéquates.
On vise à obtenir les changements de mentalité et de comportement nécessaires pour développer graduellement une culture de sécurité affermie, avec une baisse tendancielle de la fréquence des accidents du travail selon les stades de développement de la culture de sécurité.
- Les actions de formation à la sécurité au travail
Sur un plan technique, il s’agit de pallier une absence de formation minimum pour obtenir à terme des comportements actifs à l'égard de la sécurité (analyse du risque, définition et respect de modes opératoires sûrs...) ou de suivre les évolutions technologiques au sein du travail qui sont si nombreuses et rapides qu’elles nécessitent une adaptation fréquente des travailleurs et demandent une grande réactivité, sous peine d’obsolescence de leurs connaissances, de leurs compétences et savoir-faire en matière de sécurité du travail.
Sur un plan psychologique, il s’agit d’obtenir des décisions sécuritaires vertueuses en suivant un mécanisme subconscient ou automatique (exemple : mettre sa ceinture de sécurité), de faire évoluer en profondeur les représentations par rapport aux risques et à la sécurité au travail.
- Modification du comportement par la sanction ou la récompense
Les méthodes (ABC …) issues du behaviorisme, stipulant qu’un comportement est un apprentissage résultant de l'apparition d'une conséquence positive (récompense) ou négative (sanction) à la suite d'un comportement donné, ne sont pas totalement délaissées, caricaturées en méthode bâton /carotte : motivation par la prime liée au taux d’accidents du travail ou au nombre de suggestions en sécurité validées (la carotte), la peur de la sanction répressive en cas de non-respect des consignes de sécurité (le bâton), avec des effets pervers comme les défauts de sécurité cachés (sous déclaration d’accidents) et une certaine opacité des pratiques de travail. Si la sanction ne doit cependant pas être exclue dans les cas graves de manquements à la sécurité, le règlement doit énoncer des règles clairement annoncées, sanction graduelle, équité, et exemplarité de la hiérarchie sous peine de culpabilisation des opérateurs, sentiment d'injustice ...
La prévention des risques par la répression, peut n’avoir que peu d’effet ou des effets pervers, dont le plus important est que la perspective de sanctions vis à vis des manquements aux consignes de sécurité puisse générer des conséquences néfastes comme la dissimulation des sources de dangers.
- Le nudging ( coup de pouce )
Le nudge (Richard Thaler et Cass Sunstein, « Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness », 2008) consiste à agir sur les émotions, en créant un biais cognitif qui provoque un comportement émotionnel visant à adopter un comportement spécifique recherché sans contrainte ni coercition : dans le cas de la sécurité, à faire la promotion de la prévention en acquérant des réflexes dirigés par l’émotion beaucoup plus forts que le fait de prendre des décisions appuyées sur le rationnel. Par exemple, pour ralentir les conducteurs dans un virage dangereux, des lignes blanches perpendiculaires au marquage au sol sont tracées de plus en plus rapprochées, ce qui crée l'impression de rouler vite et incite à ralentir. Ce nudge est une incitation douce qui exploite une illusion perceptive.
Le principe du nudging consiste donc à inciter en douceur les individus à changer leur comportement en les persuadant plus ou moins consciemment sans menacer ni sanctionner, avec des moyens assez souvent attrayants, comme des pictogrammes et dessins comiques, des effets d’optique …
Le nudge, en proposant une approche inhabituelle et décalée, fait peu à peu acquérir de bons réflexes à la grande majorité des citoyens ou salariés : et plus un comportement devient la norme, plus il est difficile, voire mal perçu, d’agir différemment ; surtout quand le comportement considéré bénéficie d’une bonne image, c’est-à-dire dans un sens favorable à la sécurité, envers lequel on ne peut décemment être réfractaire sans se marginaliser au sein d’un groupe très majoritairement respectueux.
Utilisé depuis quelques années avec succès en santé publique, hygiène urbaine, prévention routière, le nudging est encore un phénomène émergent et expérimental en entreprise et mérite d’y être développé également.
En effet, le Nudge Management répond à plusieurs problématiques de gestion des Ressources Humaines dans l’entreprise, dont celle de l’aversion croissante des salariés pour l’autorité et la hiérarchie, qui contrarie l’efficacité des règles et consignes exprimées sous forme d’ordres associés à des sanctions en cas d’inobservance ou de désobéissance : il devient de plus en plus nécessaire de revoir ces méthodes de management directif et coercitif notamment dans le domaine des risques professionnels pour adopter de bonnes conduites d’Hygiène et de Sécurité au travail.
Le nudging apparait comme un outil complémentaire aux outils traditionnels (information et formation rationnelles, signalétique universelle, conscientisation des risques, sanctions) pour faciliter les meilleurs choix sécuritaires par les travailleurs et les amener à prendre les meilleures décisions en matière de mesures préventives des risques professionnels : le succès des nudges tient à leurs effets positifs obtenus à très faible coût par un simple biais le plus souvent visuel, mais aussi parfois sonore ou olfactif, avec généralement une bonne acceptation de ce type de dispositif parfois ludique, malgré certaines réactions critiquant une forme de manipulation et d’infantilisation : des nudges seront toujours plus efficaces qu’un long discours managérial d’Hygiène et Sécurité au Travail, avec ces aspects réglementaires et parfois disciplinaires.
Comprendre et mesurer les progrès des comportements sécuritaires
Diverses méthodes ont été conçues pour étudier la conscience de la situation sécuritaire (SART, SAGAT …) et tendre à comprendre et mesurer les progrès des comportements sécuritaires en vue d'installer durablement une culture efficace de sécurité dans les entreprises.
L'évaluation qualitative de la culture de sécurité est généralement fondée sur la réalisation d'entretiens, d'observations, d'audits et d'analyse documentaire pour collecter toutes les informations nécessaires.
L'évaluation de la culture de sécurité correspond à une première étape dans la démarche vers son développement. Ces méthodes d'évaluation de la culture de sécurité peuvent être utilisées pour suivre l' l'impact des interventions menées au sein de l'entreprise, ainsi que dans des études comparatives de « benchmarking ».
La courbe Bradley de DuPont permet de visualiser aisément les changements de mentalité et de comportement nécessaires pour développer graduellement une culture de sécurité affermie, avec une baisse tendancielle de la fréquence des accidents du travail selon les stades de développement de la culture de sécurité.
Au premier stade, le salarié ne se préoccupe de sa sécurité que par instinct de conservation, la fréquence des accidents est élevée ; au deuxième stade, il le fait par obéissance à des règles imposées par sa hiérarchie, la fréquence des accidents est modérée ; au troisième stade, il prend conscience que ces enjeux sont importants pour lui, la fréquence des accidents est faible ; et au quatrième stade, le salarié se rend compte que la sécurité est une question d'équipe, la fréquence des accidents est très faible. Au fur et à mesure des niveaux, le risque global diminue et la culture de la sécurité s'améliore.
- Premier stade dit « réactif »
Les salariés ne se sentent pas totalement concernés. Ils agissent plus par instinct et considèrent que les accidents sont inévitables et en effet, ils finissent par se produire souvent. Ils croient que la sécurité résulte davantage de la chance que de la gestion des risques professionnels. La réflexion sur la prévention est surtout ressentie comme une perte de temps. L'objectif de « zéro accident » est irréaliste, impensable : il y aura toujours des concours de circonstances malheureuses. L'entreprise vise simplement à essayer de se conformer au minimum pour échapper aux poursuites, il y manque flagrant d'engagement de la direction. Les employés sont fatalistes et estiment normal que dans les travaux dangereux les accidents surviennent. On attend l'accident pour réagir.
- Deuxième stade dit « de dépendance »
La sécurité s'apparente à l'obéissance, elle est le fruit d'une contrainte réglementaire et autoritaire. Les salariés pensent que la sécurité consiste à suivre les règles élaborées la hiérarchie. Le nombre d'accidents diminue et la direction considère que la sécurité pourrait être contrôlée « si seulement les gens suivaient les règles ». Le suivi de règles de sécurité est le seul moyen de prévenir l'accident, même si celles-ci sont obsolètes, inadaptées à l'évolution du contexte. La formation se limite le plus souvent à la lecture des consignes. L'objectif « zéro accident » parait très difficilement atteignable, cela relèverait du miracle. L'entreprise mise sur le respect des règles et procédures, le contrôle, la discipline et les sanctions en cas de manquements.
- Troisième stade dit « d'indépendance »
Les salariés se responsabilisent. Ils prennent conscience que les enjeux de la sécurité sont importants pour leur santé et leur sécurité et qu'ils peuvent améliorer la situation aussi par leurs propres actions, ce qui réduit encore davantage le nombre d'accidents. L'objectif « zéro accident » est estimé éventuellement possible, mais avec beaucoup de chance. La direction de l'entreprise s'efforce de développer la formation en SST qu'elle propose à ses employés, elle affiche son engagement et sa politique de sécurité.
- Quatrième stade dit « d'interdépendance »
Les salariés sont dans l'appropriation ; ils deviennent acteurs de leur propre sécurité et de celle de leurs collègues. Ils acceptent des normes strictes concertées, collaborent avec les experts HSE et signalent les risques. Ils souhaitent, réclament et obtiennent une formation régulière à la sécurité du travail. Ils appréhendent la sécurité comme une question collective et discutent activement avec les autres pour comprendre leur point de vue. Ils estiment qu'une véritable amélioration n'est possible que s'ils agissent comme un groupe et que l'absence totale d'accidents est un objectif réalisable.
Quand on passe d'un stade à l'autre, les comportements individuels passifs laissent la place à l'initiative collective : la prise de risques et le nombre d'accidents diminuent.
La courbe de Bradley a donc un réel intérêt en entreprise pour mesurer et ensuite agir sur les comportements et développer une culture commune de la sécurité.
Il s’agit d’identifier les niveaux de culture de sécurité et de comprendre et mesurer les progrès des comportements sécuritaires :
Pour aller plus loin :
- OFFICIEL PREVENTION : Erreurs humaines et défaillances organisationnelles : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/conseils/erreurs-humaines-et-defaillances-organisationnelles
- OFFICIEL PREVENTION : Rationalité limitée et sécurité au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/conseils/rationalite-limitee-et-securite-au-travail
- OFFICIEL PREVENTION : La culture de sécurité au travail : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/formation-continue-a-la-securite/la-culture-de-securite-au-travail
Avril 2022
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